Le Nid de l’Aigle – Totem autochtone ou canadien?

1930 Emily Carr – Vaincu – Huile sur toile, 92 x 129 cm
Emily Carr sa vie son oeuvre (Livre en ligne de l’IAC)

Comment Le Nid de l’Aigle, dominant le Jardin zoologique pendant plus de 60 ans, de 1933 à 1995, est-il passé d’une oeuvre d’art autochtone à un symbole de fierté canadien?

L’huile sur toile mise en avant est une des oeuvres phares d’Emily Carr. Vaincu? Ironiquement ce titre évoque bien cette époque où on tente de rescaper l’art autochtone pour appuyer une vision émergente du Canada. Alors que l’économie touristique est en pleine croissance, on cherche à commercialiser l’art monumental – les totems, comme nous l’avons vu dans deux notes précédentes : La route des Totems et La voie des totems, si vous ne les avez déjà lu.

Campement parmi les îles du lac Huron, 1859, gravure sur bois tirée du livre de Kane, Promenades d’un artiste parmi les Indiens de l’Amérique du Nord
IAC – Paul Kane 

Dans la fiche descriptive du tableau Vaincu, on rappelle que la démarche de Carr s’inscrit dans le paradigme du sauvetage, comme on l’entend en ethnologie. Il reflète notre attitude vis-à-vis les Autochtones, perçus en voie de disparition, motivant ainsi la préservation de leur culture matérielle et artistique. À titre d’exemple, on évoque le projet de Galerie indienne de George Catlin en traitant de questions essentielles que soulèvent l’oeuvre d’un autre artiste inspiré de la culture autochtone, dans le livre en ligne Paul Kane sa vie son oeuvre. Nous recommandons particulièrement d’explorer ces deux livres en ligne de l’Institut de l’art canadien, car il se posent bien en toile de fond à cette première discussion sur le Nid de l’Aigle.

1933-1995 – Le Nid de l’Aigle au Jardin

Circa 1960 – Mât totémique le Nid de l’Aigle
BAnQ P625,S44

Démantelé en 1995, il y a près de vingt-cinq ans, beaucoup de personnes de la région de Québec ne l’ont jamais vu. Comme il a orné le Jardin zoologique de Québec de 1933 à 1995 et qu’il a été démantelé sans qu’on s’en étonne trop, nous allons explorer les circonstances de son arrivée dans la région et les événements entourant son démantèlement. Deux questions surgissent lorsqu’on s’intéresse à la conservation de ce patrimoine artistique autochtone. Son démantèlement peut-il être considéré comme un simple accident de parcours et aurait-il pu être rescapé? En revenant sur son histoire, que nous développerons dans les prochaines notes, gardons à vue que nous sommes bien en présence d’art monumental autochtone; au sens propre, un mât totémique est avant tout un monument commémoratif; le Nid de l’Aigle en était un. On ne peut pas se borner uniquement à l’histoire de ce monument disparu du paysage urbain sans tenter de mieux comprendre la culture de sa région d’origine, à l’époque où on s’en est approprié. Ainsi espérons-nous pouvoir développer un opinion éclairée sur ce que nous appelons pour le moment un « accident de parcours ». Tout au plus, certaines questions qui n’ont pas été soulevées depuis son démantèlement demeureront ouvertes et prêEtes à débattre.

1911-1932 – Emily Carr et les totems

Fac-similé – Carte les voyages d’Emily Carr sur la Côte Nord-Ouest, entre 1912 et 1928.
Doris Shadbolt 1990
Ouvrir sur Archive.org – Emily Carr p. 229

Il faut s’estimer privilégié de localiser une aquarelle représentant le Nid de l’Aigle du Jardin, tel qu’il était élevé dans un village abandonné, avant qu’on se l’approprie.

Item PDP00624 – Eagle’s Nest Pole at Gitex, Nass River

Effectuons ainsi un retour en 1928, sur l’aquarelle Eagle’s Nest Pole at Gitex Nass River d’Emily Carr. Cette oeuvre d’art monumental autochtone, ayant inspiré cette artiste canadienne en tant que sujet de représentation, acquiert ici un caractère particulier. Elle est une représentation artistique du mât ayant séjourné pendant plus de 60 ans dans la banlieue de Québec. Jusqu’à preuve du contraire, elle serait la seule oeuvre picturale s’inspirant directement de ce mât, en dehors des nombreuses photographies sur lesquelles nous reviendrons. Elle témoigne de la vie du mât, qui s’est étendue entre les années 1870 et les années 1990, et de son attrait pour une artiste reconnue. Notons également que le Nid à son sommet est assez unique; peu de mâts sont ainsi coiffés. En examinant la fiche descriptive des archives du Royal BC Museum (RBCM), on apprend que cette aquarelle se trouvait encore dans l’atelier de Carr au moment de son décès, inventoriée par les exécuteurs et marquée du cachet de succession à l’encre. W. A. Newcombe lui porte assez d’intérêt pour l’acquérir en 1945. Il faisait partie des précurseurs de Barbeau en photographiant le Nid de l’Aigle bien avant lui, qui ne l’avait aperçu qu’en 1927. Par un retour du balancier, le fonds de la succession de Newcombe sera acquis par le RBCM; l’aquarelle y retournera en 1961.Revenons à la fin de juin 1928. Carr explore la vallée de la Nass après un court séjour à Greenville (carte Totems Nisga’a en ligne). Comme il n’y a pas de mâts dans ce village, elle demande à un Autochtone de l’emmener en bateau à rames, au village abandonné de Gitiks, où se trouve le Nid. Elle y passera quelques jours, avec ses carnets de croquis. Cette excursion est relatée dans Seven Journeys de Doris Shadbolt. Ce voyage la conduit à développer un regard critique sur la disparition des mâts totémiques. Décrivant l’ambiance artistique de l’époque, elle aboutit à une réflexion sur le paganisme, pendant la période où elle a peint ses premiers totems, de 1911 à 1913.

Mon but, en produisant cette série de mâts totémiques, était d’illustrer ces reliques extraordinaires issues d’un peuple menacé, et ce dans leur environnement d’origine, c’est-à-dire au lieu précis où ils ont été sculptés et placés par les Indiens en l’honneur de leurs chefs. Les mâts disparaissent rapidement. Chaque année voit un certain nombre d’entre eux tomber, pourris par l’âge; d’autres sont achetés et emmenés à des musées dans diverses parties du monde; d’autres, malheureusement, servent de bois à brûler. Les Indiens commencent à en avoir honte, craignant que les Blancs, à qui ils veulent ressembler, y voient des manifestations de paganisme et les ridiculisent, alors ils les brûlent.

Cette réflexion sur le paganisme évoque comment on le craint dans les années 1930; on le constate en recherchant ce thème dans la revue Le Canada-Français. La pensée catholique étant en toile de fond de l’actualité, un grand mât totémique viendra orner le Jardin zoologique : quelles seront les réactions? Enfin, c’est le modernisme de ses derniers totems, produits entre 1927 et 1932, qui alimentera l’exposition dont nous discutons ci-dessous. C’est sa contribution à cette époque effervescente qui tente de réconcilier l’art autochtone et l’art canadien.

Couverture du livre
LIRE

L’essai Emily Carr Sa vie et son oeuvre de Lisa Baldissera, qui détient une maîtrise en création littéraire de l’Université de la Colombie-Britannique et une maîtrise en arts de l’Université de la Saskatchewan, est vraiment pertinent. On y explore de nombreuses facettes de son parcours, dont une partie reflète ses visites sur la Côte Nord-Ouest et son intérêt pour les mâts totémiques. Dans la section Importance et questions essentielles elle soulève des aspects cruciaux de sa production, dont l’identité nationale et l’influence des oeuvres autochtones. L’œuvre de Carr est aussi considérée comme révélatrice dans sa représentation des ruptures géographiques, politiques, sociales et psychiques spécifiques qui émergent au sein des populations autochtones, coloniales et migrantes établies sur la côte ouest du pays. Parmi ces enjeux, on remarque l’histoire complexe de la colonisation et du déracinement — et qui est présente dans des œuvres telles que Vaincu (1930) — qui marque l’histoire du Canada, et la façon dont les préoccupations au sujet du territoire, de son échange et de sa façon de la voir sont utilisées pour déterminer qui peut ou ne peut pas occuper les terres et comment ces luttes capitales d’appartenance sont articulées.

1927 – Canadian West Coast Art – Native and Modern

Canadian West Coast Art: Native and Modern exhibition, installed in the E.R. Wood Gallery, January 1928
© 2014 Art Gallery of Ontario

Cette exposition marquante eut lieu au Musée des Beaux-Art d’Ottawa en 1927 et à la Galerie d’art de Toronto en 1928. Comme on le voit ci-dessus, la mise en valeur des oeuvres est sobre, une juxtaposition de tableaux d’artistes canadiens et d’objets de la culture autochtone de la Côte Nord-Ouest. On peut se demander qu’est-ce qui était le plus mis en valeur: les oeuvres des artistes canadiens ayant voyagé sur la Côte Nord-Ouest ou les oeuvres autochtones proprement dites? Le titre qualifie ce qui est présenté d’un épithète unique – Art canadien de la Côte Ouest, mais le sous-titre dépasse un peu du jupon comme on dit parfois, en opposant le caractère autochtone au caractère moderne (native and modern), volontairement ou non. Est-ce dans un élan soudain de sympathie, digne du paradigme de sauvetage dont il a été question plus haut, qu’on associe dans une exposition nationale l’art autochtone à l’art canadien? Est-ce dans la même lignée que l’assimilation des enfants autochtones dans les pensionnats dès le milieu des années 1800 pour qu’ils deviennent de petits canadiens? L’exposition d’Ottawa en 1927 coïncide également avec le 60ème anniversaire de la Confédération, à une époque où l’identité canadienne tente de se raffermir. Ce jubilé de diamant est un des premiers événements majeurs de la fête du Dominion parrainés par le gouvernement fédéral. Mais tous ne sont pas de la même opinion.

Dans certaines régions, les agents indiens permettent à des membres des Premières Nations de participer aux reconstitutions historiques locales de la fête du Dominion avec leurs costumes traditionnels, tandis que dans d’autres, on insiste davantage sur les idées d’assimilation et de conversion.

Pour suivre ce courant d’idées nationalistes et revenir à l’exposition organisée par Marius Barbeau et Eric Brown, ce dernier rappelle l’importance de préserver les traces de la culture autochtone dans les pages liminaires du catalogue d’exposition, avec un brin de regret.

La disparition de ces arts, suite à la pénétration du commerce et de la civilisation, est plus regrettable qu’on ne peut l’imaginer et il est primordial de consacrer tous les efforts possibles pour maintenir et restaurer tout vestige dans une exposition permanente, aussi peu en reste-il.

Lorsqu’il s’agit de décrire la quinzaine de types d’objets autochtones, provenant des différentes aires culturelles de la Côte, on parle de leur usage en utilisant l’imparfait, au passé, comme si c’était d’une époque révolue. C’est en seconde lecture que nous est apparue cette singularité. On n’oublie pas de mentionner également que chacun d’eux est la propriété d’une institution muséale ou d’une collection privée, bref ne seront pas retournés à leur propriétaire. Mais Barbeau souligne bien le rôle que ces pièces de collection jouaient chez les Autochtones.

Leur art n’était pas une vaine recherche pour eux ou les membres de leur tribu, mais accomplissait une fonction tout à fait essentielle dans leur vie quotidienne. Leurs maisons, leurs costumes cérémoniels, leurs ustensiles et leurs armes devaient être décorés dans un style traditionnel ; et leurs emblèmes héraldiques devaient être montrés et exhibés devant leur maison et sur leurs mâts totémiques.

Catalogue d’exposition
AIC-ICA Emily Carr Book

Et une autre déclaration assez surprenante du directeur de la galerie, Eric Brown, peut sembler ethnocentrique en opposant l’art des « tribus canadiennes » comme il le dit, à « nos artistes les plus sophistiqués ».

L’objet de [cette exposition] … est de mêler pour la première fois les œuvres des tribus canadiennes à celles de nos artistes les plus sophistiqués dans le but d’analyser leurs relations, si tel est le cas, et en particulier pour permettre à cet art primitif et intéressant de prendre une place définitive parmi les productions artistiques les plus précieuses du Canada.

L’art des tribus canadiennes a évolué plus loin que les autres et révèle une culture beaucoup plus raffinée.

Cette notion de sophistication des artistes canadiens est assez ironique, si ce n’était qu’un malheureux sous-entendu, pourrait-on croire… Cette comparaison est-elle vraiment justifiée si on désire considérer la production artistique autochtone à sa juste valeur? La comparaison avec les arts autochtones des autres continents est également abordée, et cette fois-ci le résultat de cette comparaison mérite d’être en exergue. Cette coupure qu’on ressent entre l’art autochtone proprement dit et le travail des artistes canadiens qui s’en inspirent pour créer des représentations demeure. Dans un prochaine note hors série, on verra que les pratiques artistiques autochtones sont plus vivantes que jamais, particulièrement sur la Côte Nord-Ouest.

1933 – Le Nid dans sa vie imaginée

En gardant à vue l’idée prévalente de la relation entre l’art autochtone et l’art canadien, discutée ci-dessus, la Société zoologique de Québec s’inscrira-t-elle également dans ce courant d’idée que le totem est de l’art canadien? Peut-on supposer que le Nid de l’Aigle se soit transmuté d’une oeuvre d’art autochtone monumentale en symbole d’unité canadienne? Examinons certains documents d’époque pour élucider ces questions.

1933 Campement « indien » sur le site du Jardin zoologique
Diapositive sous verre colorée manuellement
BAnQ Fonds P625 Contenant 2 C 011 01- 05- 007B- 01

Étonnamment, en épluchant les contenants du fonds Société zoologique de Québec de BAnQ, nous avons localisé cette photographie sur verre qui témoigne d’une installation d’un campement autochtone, tel qu’on se le représente à cette époque. N’ayant pas retracé d’information sur cette installation au pied du mât, nous avons recherché des témoignages écrits qui relataient l’inauguration imminente du Jardin zoologique. Ainsi, nous avons retracé trois articles pertinents publiées en 1932 de la revue L’Enseignement primaire. De septembre 1898 à juin 1937, elle était envoyée gratuitement, chaque mois de l’année scolaire, à toutes les écoles catholiques de la province – un large auditoire. L’objectif de ces publications était de motiver les professeurs à emmener leurs élèves au Jardin, une nouvelle attraction touristique et pédagogique, pendant la belle saison. Dans le numéro de septembre (en ligne), l’abbé Albert Tessier, du Séminaire des Trois-Rivières, annonce un campement indien.

Et ce n ’est pas tout… À l ’extrémité du champ défriché, là-bas, sous les arbres denses, s’érigera un campement indien, et, tout à côté, un campement de bûcheron. De cette façon la vie des bois sera évoquée sous tous ses aspects et elle revivra de façon concrète pour le plus grand intérêt de milliers de gens qui ne la connaissent que par les livres.

Le peintre Horatio Walker, le surintendant des parcs J. C. Garneau, le sous-ministre de la province Charles-Joseph Simard et le sous-ministre de la colonisation L. A. Richard présentant leurs prises.
Vers 1930 Canadien National – BAnQ P428,S3,SS1,D32,P1

Dans le numéro d’octobre (en ligne) le sous-ministre de la Colonisation, Louis-Arthur Richard, explique à l’abbé Tessier les détails du projet de Jardin zoologique que son ministère réalisera dans la vielle capitale. Il termine l’interview en résumant son idée principale.

L’idée, c’est d’en faire un jardin uniquement consacré à la faune de l’Amérique du Nord et où chaque ordre, chaque famille et chaque genre soit représenté par des spécimens types. L’idée, c’est encore de construire toutes les maisons et toutes les dépendances en s’inspirant de l’architecture normande de façon à donner l’illusion d’un petit village canadien-français du 18ème siècle.

Dans le numéro de décembre (en ligne) Richard complète son raisonnement, ce qui élucide la présence du campement indien autour du Nid de l’Aigle.

La faune a eu une telle importance dans la colonisation de ce pays qu’il est tout naturel d’associer à nos animaux sauvages le souvenir des premiers colons. Établir un jardin zoologique exclusivement destiné à la faune canadienne, c’est déjà faire une reconstitution historique, puisque c’est rappeler que ces animaux étaient ici avant nous et que c’est à cause d’eux que nos ancêtres sont venus.

Et pour ce fameux campement, il expose clairement ses visées pédagogiques pour le Jardin.

Combien de gens dans nos villes et même dans nos campagnes ignorent le genre d’existence des sauvages et des bûcherons dans les grands bois ? Pour percer, à leurs yeux et aux yeux des enfants, le mystère de la forêt et pour leur montrer une chose qu’ils n’auraient peut-être jamais l’occasion de voir, un endroit a été réservé au jardin zoologique pour y dresser un campement de sauvages et un campement de chantier. Ils pourront mieux se rendre compte de la vie primitive que mènent en forêt ceux qui y sont attirés par la chasse des animaux à fourrure ou par l’industrie forestière.

Fac-similé
Lettre de Richard à Scott
BAC Canada – Fonds 206458

Cette entrevue est publiée à l’automne 1932 sans que Tessier ne révèle l’arrivée du Nid de l’Aigle pour l’inauguration de juillet 1933. Richard connaît bien des détails sur le Nid, puisque le 5 novembre 1931, dans sa première lettre à Duncan Campbell Scott, surintendant général adjoint des Affaires indiennes à Ottawa (ci-contre), il lui a exposé son projet d’acquérir un mât. En plus, il lui fait part de ses motivations pour créer un parc public comportant un jardin zoologique, il lui indique qu’il voudrait « l’ornementer » avec un objet d’un intérêt particulier pour l’éducation du public, faisant valoir qu’aucun parc de la province ne possède une chose telle qu’un mât totémique, et remarquez sa conception de l’histoire.

Même à Québec, où dans les premiers jours de la Colonie, nos Indiens se mêlaient à un tel degré avec l’homme blanc, avons-nous un souvenir tel qu’un totem rappelant la civilisation plus avancée des Indiens de l’Ouest, je considère que c’est une grande lacune.

Ses voyages dans l’ouest canadien le conduisent à glisser un message sibyllin, qui prend tout son sens avec le recul : il évoque la civilisation plus avancée des Indiens de l’Ouest. Conscient que les mâts totémiques se font rares, rappelons-nous le paradigme du sauvetage, et que le gouvernement de la Colombie-Britannique a légiféré pour les protéger, il ne peut traiter de province à province. Scott devient un allié précieux. Plus de détails sur ces correspondances et sur les enjeux qui se présenteront tout au long du projet figureront dans 2 notes déjà rédigées et planifiées (1931 – Tout débute en novembre– le 7 juin et 1931-1932 – Correspondance et décisions– le 19 juillet.)


1900 – Le Nid dans sa vie initiale

Il faut revenir à des photographies d’archives pour comprendre que le Nid de l’Aigle n’a jamais entouré d’un campement de tentes, tel qu’on l’imaginait dans la photo présentée auparavant. Le site Anciens Villages et Totems Nisga’a de la communauté de Gingolx, présente une page dédiée au Nid de l’Aigle, sur laquelle figure série de photographies du mât sur ses lieux d’origine. La photographie suivante, tiré de cette série, offre une vue du Nid derrière la maison de son propriétaire, avec la rivière Nass en arrière plan.

Eagle’s Nest Pole Royal BC Museum
Source Ancient Villages et Totems Nisga’a – Eagle’s Nest Pole

Ces maisons en rangée faisant face à la rivière, il faut savoir que cette dernière maison où se retrouve le mât serait celle du chef du clan de l’Aigle, cependant il n’y a pas de photographie d’archive connue qui présente la façade de cette maison avec le mât derrière. Cependant, la maison du chef pourrait comporter une peinture de façade, un paravent orné, comme on en voit typiquement dans l’architecture Tsimshian, par exemple. La photographie ci-dessous illustre une rangée de maisons à Gitlaxdams – sur la rivière Nass également. La dernière maison comporte un tel paravent, qui est un panneau supplémentaire apposé en façade, est un bon exemple.

Chief Minesque’s (Mosquito) house, Gitlaxdamsk, Nass River.
Photographer unknown, 1903. Royal B.C. Museum.

SFU Bill Reid Center

Si vous passez à Gatineau, vous pouvez d’ailleurs voir de plus près des paravents ornés, dans la Grande Galerie du Musée canadien de l’histoire. Une exposition virtuelle en ligne permet d’explorer en détail les différents types de paravents et les autres aspects de la culture de la Côte Nord-Ouest. Pour donner une idée de plus précise de l’apparence d’un tel paravent, voici une photographie intéressante tirée des archives numériques de Digital Collection of Los Angeles Library.

Une véritable façade tsimshian de 28 pieds de long et 12 pieds de haut, provenant de la Côte Nord-Ouest du Pacifique, est exposée au centre pour les arts visuels ARCO
Photographie du 24 décembre 1988

TESSA 00078191

Nouveaux signes, nouvelle identité

Serions-nous devant de nouveaux signes et une nouvelles identité, alors que le mât s’est transporté d’ouest en est? Examinons différents éléments qui pourraient faire office de réponse. En premier, il y a un certain attachement à cette pièce imposante qu’est le Nid de l’Aigle, quand on en parle dans les publications de la Société du jardin zoologique. À travers le discours qu’on tient pour justifier sa présence sur les lieux, ce changement d’identité d’une oeuvre sculpturale majeure, transparaît la fibre nationaliste de l’époque. Par exemple, M. Damase Potvin raconte l’histoire de ce « beau monument indien », trouvé (par Barbeau) en 1927 dans la jungle de la rivière Nass, pour reprendre quelques termes de son court article (Potvin 1941 : 81).

 Ce Nid de l’Aigle sculpté au sommet d’un cèdre gigantesque symbolise bien la faune et la flore représentée dans notre Zoo québécois; la flore par cet immense tronc de cèdre rouge; la faune par cet aigle si haut perché et par ces autres animaux sculptés dans l’arbre : l’écureuil, le castor, la martre, le corbeau, le saumon.

Il communique aussi son point de vue en citant Marius Barbeau, qui rappelle que ce mât réunit plusieurs éléments de notre unité nationale.

Transplanté sur le Saint-Laurent, il a trempé dans les eaux salées du Pacifique, reliant ainsi en quelque sorte nos deux côtés éloignés. Situé près de Québec, il rappellera les Peaux-Rouges du Nord-Ouest rattachant ainsi l’histoire à la préhistoire. Si ces sculptures s’inspirent de la nature, elles sont plus encore qu’une image réaliste, elles expriment en termes humains quelque chose de l’âme nationale.

Comme on l’a vu plus haut, cette âme nationale s’est manifestée plus particulièrement dans l’exposition Canadian West Coast Art en 1927. Dans le texte de présentation du catalogue qui l’accompagne, on évoque effectivement la faune et la flore à l’origine des thèmes et des matériaux des oeuvres autochtones.

Une caractéristique louable de cet art indigène, pour nous, est qu’il est vraiment canadien dans son inspiration. Il a pris naissance entièrement à partir de la terre et de la mer à l’intérieur de nos frontières nationales. Les ours gris, les castors, les loups, les baleines, les saumons, les phoques, les aigles et les corbeaux constituent ses thèmes plus familiers. Les cèdres, les défenses de morse, les peaux d’orignal et les poils de chèvre des montagnes constituent leurs matériaux à l’état brut. Et il est remarquable que ces artistes indigènes aient adapté habilement leur style à la nature exigeante de leur matériaux, tout en essayant d’atteindre un dessein social qui a constamment stimulé leur originalité et mis à l’épreuve leurs talents créateurs, jusqu’à l’extrême .

Ce mât totémique est également perçu comme un relent du siècle dernier, provenant d’une culture menacée par la société moderne. Marius Barbeau avait probablement inculqué cette perspective aux membres de la Société zoologique, comme on le constate dans un texte publié dans les années 1960 (Cayouette 1964:21).

Monsieur Barbeau est d’avis que le totémisme ne date que du siècle dernier et n’a duré comparativement que peu de temps. L’homme blanc avec sa civilisation a entravé les coutumes et il n’y a guère maintenant de véritables sculpteurs de totems, et ceux-ci n’ont de signification que touristique et mercantile.

Ce pessimisme de l’époque s’est substitué par une renaissance de l’art totémique sur la Côte Nord-Ouest et de nombreuses élévations de mâts continuent de faire partie du paysage culturel. Conscient du péril qui ne serait peut-être pas surmonté croyait-on à ce moment, l’auteur est bien conscient de la grande valeur du Nid de l’Aigle.

Les visiteurs du jardin zoologique de Québec ont donc le privilège d’admirer un mât totémique véritable, de grande valeur et plus que centenaire.

Ce qu’on peut conclure provisoirement

Les blasons d’animaux, sculptés et empilés sur les mâts, racontaient sous forme de symboles narratifs des légendes et des histoires de famille, validées lors des cérémonies d’élévation de la communauté – le potlatch. Ces récits, hors de leur contexte culturel, ne peuvent pas soulever un grand intérêt, même si on les évoque très brièvement dans les guides du Jardin. Qui connaît par exemple la légende des volcans et des migrations qui se dissimule derrière un de ces blasons? Ce transfert des significations d’origine s’accomplit simultanément au déplacement géographique vers une aire culturelle où la culture autochtone est très différente. Les différences entre l’ouest et l’est ne sont pas seulement vécues par les Canadiens. Dans ces circonstances, on ne peut reprocher aux nouveaux propriétaires de transformer le Nid en symbole de fierté locale, alors que le mât était un objet de fierté pour son propriétaire. C’est en l’associant à la faune et la flore du Jardin ou à l’âme nationale, sans que soient continuellement véhiculées ses significations originales, que s’opère cette mutation d’identité. L’ignorance de la culture de la Côte Nord-Ouest, à l’autre bout du pays, a contribué à amoindrir le pouvoir des symboles et des légendes du mât totémique et peut-être fait oublier qu’un chef de clan en avait été déculotté.


INFORMATION COMPLÉMENTAIRE …

Revue des sources documentaires en ligne au moment de la publication, photoreportages ou études de cas en relation avec le thème abordé dans cette note.

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