Les blasons et les légendes du totem Le Nid de l’Aigle

Totem pole at Gitex 1910s
Photo prêtée à Marius Barbeau par C.F. et W.A. Newcombe en septembre 1927
Date de prise de vue inconnue pour le moment
SFU – Northwest Coast Villages Project – Git’ix Gallery ; MCH 70686.A

Le savoir sur les blasons s’est dilué au point qu’on oublie d’en inclure un sur un panneau d’interprétation planté au pied du Nid de l’Aigle, au nord de l’espace central du Jardin zoologique de Québec. Pourtant, les légendes qu’ils racontent sont extraordinaires.

Les blasons du Nid de l’Aigle

Le tableau suivant présente les appellations des emblèmes en Nisga’a, en anglais et en français, comme on les voit sur site Anciens Villages et Totems Nisga’a du Centre communautaire de Gingolx en 2009. La colonne de droite présente celles utilisées par Marius Barbeau en 1940.

BlasonNisga’a (1)Anglais (1)Français (2)Français (3)
01Anluuhlkwhl x̱sgaakEagle
on a nest
Aigle
sur un Nid 
Nid
de l’Aigle
02Nidii gahlkw hli ḵ’aptPlain
section
Section
lisse
03Yukwt giphl ts’inhlik’hl meeḵSquirrel chewing a
pine cone
Écureuil mâchant une pomme de pinÉcureuil rongeant un cône de pin
04Ts’uuts’im lax̱-mo’onCormorantCormoran*Corbeau
05X̱sgaagim lax̱-mo’onSea Eagle (Thunder bird)L’aigle
de mer*
L’oiseau
Tonnerre
06HlbinWhaleBaleine Saumon*
07Wiyitgum hanaḵ’am g̱anaaw̓Weeping
(Frog)
Woman
Femme
qui
pleure*
Femme
aux
Grenouilles
08G̱anaaw̓FrogGrenouille*Grenouille
09T’aam ts’imilxSitting
Beaver
Castor
assis*
Castor
rongeant
une branche
de peuplier
10Ligii w̓ii n̓agum ts’aḵhl hagwil̓ooḵ’ oo ligii biyooskwLong
Sharp Nose Monster or Mosquito
Monstre au Long Nez Coupant ou MoustiqueTrakolk
APPELLATIONS DES BLASONS DU TOTEM LE NID DE L’AIGLE

(1) Eagle’s Nest Pole – Ancient Villages & Totem Poles of the Nisga’a
(2) Totem du Nid D’Aigle – Anciens Villages et Totems Nisga’a
(3) Le Totem du Nid de l’Aigle – Marius Barbeau, Le Canada-Français, 1940

* Dans la quatrième colonne, les noms de blasons suivis d’un astérisque comportent une légende qu’on peut lire sur la page Totem du Nid d’Aigle du site Anciens Villages et Totems Nisga’a (2). Il suffit de cliquer sur l’icône Histoire de Totem en bas de page et de cliquer sur les différentes parties du totem.

Pour en apprendre plus à ce propos :


Les récits fantastiques des blasons

Marcheurs près du Nid de l’Aigle
Photographe inconnu – sans date
Courtoisie – Société d’histoire de Charlesbourg – A-19.7

Ces blasons illustrent des récits fantastiques qui tiennent les uns de la légende et les autres de l’histoire.

Marius Barbeau

En 1940, Barbeau synthétise en une phrase le caractère essentiel des blasons. Les récits fantastiques sont une intrusion du surnaturel dans le cadre réaliste d’un récit. D’une part, les légendes sont des récits à caractère merveilleux, des faits historiques transformés par l’imagination populaire ou l’invention poétique. D’autre part, l’histoire nous rappelle des événements survenus dans un passé plus ou moins lointain; ces légendes sont souvent racontées pour perpétuer la tradition orale. Dans la culture des Premières Nations, c’est pendant la célébration du potlatch qu’elles sont sont racontées et validées; on les appelle les « Adaawak ». On offre de généreux cadeaux aux invités afin de les encourager à les répéter de nouveau. Par analogie, cette retransmission serait l’ancêtre de nos réseaux sociaux et de leurs influenceurs! Les légendes du Nid de l’Aigle méritent d’être redécouvertes, mais sans s’égarer dans leur complexité ou leur longueur. Commençons par un survol tel que proposé par Marius Barbeau dans son article « Le Totem du Nid de l’Aigle », paru en décembre 1940.

En dépit des efforts d’intégration de cette oeuvre d’art au paysage du Jardin, le public qui circulait à son pied pouvait bien l’admirer, toutefois les légendes associées à ses blasons leur était probablement méconnues. Mis à part quelques articles de Marius Barbeau parus dans les journaux entre 1933 et 1946, le savoir sur ces légendes semble s’être dilué. Quant au nom des blasons, un exemple frappant de cette dilution se manifeste dans le panneau d’interprétation affiché au pied du mât. On « oublie » un blason essentiel qui identifie l’animal le plus important dans cette région de pêche: le saumon – ou la baleine; les appellations varient. On surnomme d’ailleurs les habitants des affluents de la Skeena et de la Nass « le Peuple des mangeurs de saumon (Barbeau 1950:15-21) ». À partir de 1966, on retrouve une page dédiée au Nid de l’Aigle dans le Guide du jardin zoologique de Québec qui figurera dans plusieurs éditions successives.

Pour en apprendre plus à ce propos :


01 – L’Aigle au-dessus du Nid

Le Nid de l’Aigle (01)
SZDQ 1995-02-28
BAnQ P884 2007-02-001 \ 88 Dossier 32 Diapo 1025

L’aigle des montagnes assis au sommet du Nid de l’Aigle, les ailes grandes ouvertes, semblait proclamer ses droits préhistoriques sur cette solitude. Mais la forêt tout autour envahissait la clairière qu’y avait naguère pratiquée une tribu riveraine, depuis passée à d’autres lieux.

Marius Barbeau (1940:373)

Emblème en pierre de l’Aigle

Sculpture en pierre à l’emblème de l’Aigle
du Chef Menesk
Marius Barbeau, 1927, MCH 69685

On en apprend plus sur l’origine du blason de l’Aigle du clan des Mangeurs de saumon dans un long récit raconté par Robert Stewart de Kincolith de la rivière Nass, enregistré par William Beynon en 1947-48. Le chapitre « L’origine du blason de l’Aigle du clan des Mangeurs de saumon (1953:42:52) » s’étirant sur dix pages, retenons l’essentiel. Lors de leur migration du sud de l’Alaska après leur guerre avec le clan des Loups, deux emblèmes furent sculptés dans la pierre pour représenter leur pouvoir, dont un pour le chef et un petit par la population. Ils furent utilisés pour s’accrocher pendant un envol mythique sur le dos d’un oiseau. Mais on les perdit pendant le voyage et par la suite, on les remplaça par des aigles sculptés dans le bois. La photographie de gauche présente une sculpture de tête d’aigle, attribuée au chef Menesk, un chef du clan de l’Aigle à cette époque.

Lorsque Barbeau mentionne quelqu’un dans ses légendes, en fouillant dans ses archives au MCH, on finit par le trouver. Alors, ici on voit ce fameux chef portant 2 types de vêtements d’apparat. Dans les photographies, il porte un tunique chilkat et une coiffe cérémonielle plus élaborée.

Reciprocal Research Network (RRN)
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Exemples de blason de l’Aigle – Fiche de projet RRN : cette fiche de projet, et les fiches suivantes pour les prochains blasons, présente une collection d’objets ethnographiques y étant associés. C’est un travail en progrès de l’auteur, membre contributeur du Reciprocal Research Network (RRN), relié à une trentaine d’institutions muséales s’intéressant aux objets des Premières Nations sur la Côte du Nord-Ouest.

Pour en apprendre plus à ce propos :

  • Tissage – Couvertures chilkat – Site Anciens villages et totems Nisga’a
  • Amhalayt – Coiffures traditionnelles – Ibid.
  • Hochets – Instruments cérémoniels – Ibid.

Les hypothèses sur l’origine du blason de l’Aigle

Le Nid de L’Aigle
BAnQ : Québec, Le Soleil, Dimanche 12 mai 1946, page 7

Nous avons déjà abordé les hypothèses de Barbeau à propos de la relation entre le blason de l’aigle du Nid et le blason de l’aigle bicéphale de la Russie impériale, dans une note précédente. En 1944, il revient à nouveau sur cette question dans un article publié dans The Journal of American Folklore (1944:54). Le corbeau, le loup, l’aigle et l’oiseau tonnerre étant quatre blasons fréquemment utilisés sur la Côte Nord-Ouest, il tente de comprendre leur origine en examinant différents traits culturels. Comme la Russie est impliquée dans le commerce des fourrures et associés au prestige, il s’interroge sur l’apparition du blason de l’emblème de l’Aigle. Il y a longtemps que cette idée lui trotte dans la tête; il s’était posé une question similaire dans son article publié dans le Journal of the Washington Academy of Sciences, en 1933.

Et je me demande si l’emblème de l’Aigle, certes récent, n’est pas une simple imitation de l’emblème impérial russe. Comme lui, il apparaît souvent comme un aigle à deux têtes, et il est originaire du pays occupé par les Russes, au moment de leur occupation.

Marius Barbeau (1938:386)

Si on reprend la théorie de Barbeau s’appuyant sur des récits traditionnels fiables, les plus anciens blasons totémiques parmi les tribus de la côte du Pacifique Nord étaient l’Aigle et l’Aigle bicéphale, deux répliques de l’Écusson impérial russe et de l’insigne de la « Russian American Company ». L’adoption par les Na’as en Alaska des emblèmes des nouveaux arrivants russes est survenue assez tôt (probablement au XVIIIe siècle), au cours de l’association des Na’as avec eux en tant qu’assistants dans le commerce des fourrures sur les côtes. En raison de sa ressemblance avec l’aigle, les Na’as ont adopté le Gyaebelk ou l’Oiseau-Tonnerre comme blason secondaire, peu de temps après avoir adopté l’Aigle. Le fabuleux Oiseau-Tonnerre appartenait à leur ancienne tradition, mais il leur venait d’un concept sibérien. Bientôt, le l’Oiseau-Tonnerre s’est propagé à d’autres nations du sud, y compris les Kwakiutl, pour qui il demeure un emblème préféré sur les mâts totémiques (Barbeau 1944:54 et 1954:118). Barbeau reprit cette explication dans l’article grand public du haut de la page, publié dans Le Soleil.

Pour en apprendre plus à ce propos :


02 – Le tronc lisse

Cette section sous la base du nid est le tronc du cèdre de Colombie dénudé et réduit au diamètre le plus mince, dans la continuité de la tête de l’écureuil. La sculpture d’un mât totémique est un grand défi artistique et demande une grande patience. Elle prend du temps, on peut passer facilement une année penché sur un immense tronc couché sur le sol. Cette pratique artistique ne cesse de se renouveler, ce n’est pas un souvenir du passé. L’album suivant est une collection de photographies d’archives permettant d’observer des sculpteurs à l’oeuvre.

Pour en apprendre plus à ce propos :


03 – L’Écureuil rongeant un cône de pin

L’Écureuil rongeant un cône de pin (03)
SZDQ 1995-02-28
BAnQ P884 2007-02-001 \ 88 Dossier 32 Diapo 1024

Dans l’introduction de son article, Barbeau spécifie que « l’emblème de l’Écureuil rongeant un cône de pin, près du sommet du Nid de l’Aigle, est encore moins ancien que le Saumon ou le Castor. Il est le blason exclusif de trois familles seulement du clan de l’Aigle. L’une d’elle réside à Kitwanga sur la Skeena, l’autre sur la Nass supérieure et la troisième à Gitiks, sur la Nass inférieure. Cette dernière est la famille de Githawn, dont le totem est à la Tournée-du-Moulin (Barbeau 1940:376). » Il confirme à la fois la présence de la famille de Githawn – une traduction de Githrwan dans ses textes anglais – et précise que c’est effectivement leur totem. Remarquez qu’il utilise l’expression « La-Tournée-du-Moulin » pour désigner la localité; c’est le folkloriste qui parle ici. Il revient également sur les inondations de la Nass suite à une éruption volcanique, qui fait partie de la légende de fondation de certains villages de la vallée.

L’éruption du volcan de la Nass, vers 1780, laissa ses habitants dans un état de terreur. Plusieurs d’entre eux prirent la fuite. Longtemps ils s’adonnèrent à des hallucinations terrifiantes, qui donnèrent naissance à de nouveaux totems (emblèmes), entre autres, l’Écureuil rongeur. Pendant que les ancêtres faisaient la pêche au saumon, sur la Nass supérieure, ils étaient la proie de visions inquiétantes. Des écureuils monstres, gros comme des ours, leur apparaissaient à tout instant; la contrée en était infestée. Des chasseurs, s’enhardissant, leur donnèrent la chasse et immolèrent le plus gros de la bande — l’esprit gardien des Écureuils. Ils en firent leur totem. Leur famille, depuis ce jour, resta dispersée, le long de la Nass. Mais elles possèdent en commun le blason de l’écureuil, qui la caractérise.

Marius Barbeau (1940:377)

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Exemples de blasons de l’Écureuil


04 – Le Corbeau (Cormoran)

Le Cormoran (04) et l’Oiseau Tonnerre (05)
SZDQ 1995-02-28
BAnQ P884 2007-02-001 \ 88 Dossier 32 Diapo 1023

Le Corbeau, dont le long bec touche la tête de l’Oiseau-Tonnerre, est le plus ancien de tous les totems. Il caractérise un grand nombre de clans, sur toute la côte. Il n’apparaît ici que par exception, peut-être parce que les ancêtres de Githawn séjournèrent aux îles de la Reine-Charlotte, où le Corbeau prédomine.

Ici, nous avons droit à une version bien courte pour la légende du corbeau; Barbeau justifie la présence de cet emblème sur le mât par exception. Au niveau terminologique, on doit se demander pourquoi Barbeau a traduit le terme « cormorant » par « corbeau ». Dans son texte anglais de 1950, Barbeau utilise bien le terme « cormorant (Barbeau 1950:44) ». Comme le totem était destiné au Québec, est-il possible que cette espèce ne fut pas populaire dans les années 1930? Y aurait-il une autre raison? C’est le temps de laisser un commentaire…

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Exemples de blasons du Cormoran (Corbeau)


05 – L’Oiseau-Tonnerre

L’Oiseau-Tonnerre, dont le long bec se recourbe en arrière, est un ancien blason que se partagent plusieurs clans de la Côte Nord-Ouest. Il était, autrefois, au sommet des montagnes, l’esprit des Aigles chauves. Et c’était lui qui causait les éclairs et le tonnerre. Lorsqu’il redressait le bec, les éclairs déchiraient l’air comme des flèches. Il fonçait alors sur sa proie dans l’océan, la baleine, qu’il avait tuée de ses flèches enflammées.

L’Oiseau Tonnerre (05)
Partie inférieure de la photo
SZDQ 1995-02-28
BAnQ P884 2007-02-001 \ 88
Dossier 32 Diapo 1023

Cette courte description se détaille pourtant dans la transcription de l’enregistrement d’un récit traditionnel recueilli par William Beynon auprès de Mme Ethel Musgrave (Deeks), âgée de 70 ans, une Aigle adoptée parmi la tribu des Gisparhlawts, de la famille de Kapligidael (Barbeau 1950:98). Elle même l’avait entendu raconter il y a de nombreuses années par son oncle Nees’wamak de la famille Legyarh. C’est un des nombreux exemples de la chaîne de transmission des légendes et de la persistance de la mémoire chez les Nisga’a. On retrouve ce témoignage dans le chapitre « L’Oiseau-Tonnerre chez les Tsimsyans. L’origine du blason de l’Oiseau-Tonnerre », dans la monographie Totem Poles. Pour clore cet enregistrement, on souligne ce que ce mythe appartenait au clan Githrawn des Aigles de Larhskeek (Barbeau 1950 : 134-141 – en Anglais; traduction en progrès) ».

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Exemples de blasons de l’Oiseau-Tonnerre


06 – Le Saumon (Baleine)

La Baleine (06)
SZDQ 1995-02-28
BAnQ P884 2007-02-001 \ 88 Dossier 32 Diapo 1022

Ainsi, le Saumon, dont la tête touche à celle de la Femme aux Grenouilles, représente un événement mythique se rattachant à un rameau du clan qui séjournait au canyon de la Skeena. Un enfant de Githawn, un jour, tomba dans la rivière et disparut. On le retrouva vivant, le printemps suivant, dans les entrailles d’un saumon monstre qu’on pêcha dans le canyon. En grandissant, l’enfant repêché devint un grand pêcheur, parce que son esprit protecteur était le Saumon. Ce totem, depuis, décore les mats sculptés du clan, sur la Skeena et sur la Nass.

Comme on le voit dans la conclusion du texte de Barbeau, l’Esprit Aigle (le Thunderbird) est d’une grande importance pour Githawn, et il faut surtout retenir que les habitants de la région sont appelés « Peuple des mangeurs de saumon ». Comme on le voit dans le tableau descriptif, les Nisga’a semblent préférer l’appeler la baleine. Cette différence culturelle est significative et il faudrait l’investiguer un peu plus. Barbeau parle d’ailleurs d’un « saumon monstre » dans sa description du blason.

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Exemples de blasons de Baleine


07 – La femme aux grenouilles
08 – La grenouille

La Femme (07) aux Grenouilles (08)
SZDQ 1995-02-28
BAnQ P884 2007-02-001 \ 88 Dossier 32 Diapo 1021

Ici, nous sommes sans doute devant la légende la plus importante associée à un blason, parce qu’elle nous ramène au coeur d’un mythe fondateur de la nation Nisga’a : l’éruption volcanique qui obligea les habitants de la région à se relocaliser.

Un des blasons les plus intéressants de ce totem est celui qui, au milieu, représente une femme Haida dont les pieds sont posés sur le dos d’une grenouille et dont les mains tiennent une canne terminée au sommet par un visage humain. Un large bouton d’ivoire (labret), tel qu’en portaient les femmes importantes, gonfle sa lèvre inférieure.

La tradition rapporte que, lorsque le clan de l’Aigle séjournait dans les îles de la Reine-Charlotte, trois jeunes pêcheurs de ce clan, un jour, faisaient cuire des truites qu’ils avaient prises dans un lac. Lorsqu’on les retirait du feu et qu’on les posait sur une grande feuille verte, une petite grenouille sauta sur une des truites. Les jeunes gens ahuris, jetèrent ce poisson au feu. A mesure qu’on retirait les autres truites du feu, des grenouilles sautèrent aussi sur eux. Exaspérés, les pêcheurs jetèrent les poissons au feu et brûlèrent les grenouilles, sans se rendre compte qu’elles étaient surnaturelles. Par là ils s’attirèrent bien du malheur.

Ils ne s’étaient pas sitôt embarqués dans leur canot, qu’une voix, chantant, leur annonça : « Avant que le soleil baisse d’une main, tombera mort celui qui, à la proue, avironne. » La chanson prédit aussi la mort des deux autres, assis au centre et à l’arrière du canot. Tous trois ils périrent au cours du voyage et le dernier d’entre eux, au moment même où, abordant au village, il achevait de raconter la funeste aventure.

Une grosse boule de feu, apparaissant dans le firmament, consuma le village et détruisit ses habitants. La seule survivante, une jeune princesse en réclusion a quelque distance en arrière du village, sortit de sa hutte entourée de boucliers de cuivre. Elle se désolait à la vue des ruines, lorsqu’elle vit un canot s’approcher de la rive. Une vieille femme Haida y était assise, la tête recouverte d’une coiffure en cône, coiffure de fines racines tressées et, sur le faîte et tout autour, ornée de grenouilles. Dans sa main cette femme tenait une canne, dont le haut était un visage humain — tel qu’on le voit sur le mat totémique. Tout comme une apparition elle disparut bientôt en chantant un hymne funèbre. Bientôt après, trois personnes, atterrissant sur la même rive, vinrent chercher la princesse et l’emmenèrent dans leur canot, à leur village. Elle devint la femme d’un chef, de qui elle eut plusieurs enfants. Lorsque ces enfants grandissaient, on se moquait d’eux parce qu’ils étaient nés d’une mère étrangère. Pour se distraire dans leur isolement, ils apprivoisèrent un petit aigle, aux pattes duquel ils mirent des anneaux de cuivre. L’aigle, un jour, s’envola, et ne revint plus. Pleurant leur perte, ils résolurent de quitter avec leur mère le village de leur exil. Ils s’embarquèrent dans un canot en chantant, pour la première fois, l’hymne funèbre de la Femme aux Grenouilles, un chant que ce clan des Aigles répète encore à la mort des chefs ou à l’érection des mats totémiques.

Traversant les eaux qui séparaient les îles de la terre ferme, ils se perdirent sur la mer. Comme ils recommençaient à chanter leur hymne funèbre, ils virent un aigle s’approcher, puis se poser sur la proue de leur canot, tout comme sur un nid. A ses anneaux de cuivre, ils reconnurent l’aigle qu’ils avaient élevé. L’aigle les dirigea vers la terre, qu’il leur indiquait de la tête et du regard. Bientôt ils aperçurent la côte, où ils se hâtèrent d’atterrir. C’est là, au point même de l’atterrissement, qu’ils s’établirent d’abord. Mais, plus tard, leurs descendants se dispersèrent et fondèrent des familles sur les rivières Skeena et Nass. C’est d’eux que sortit la famille de Githawn, Mangeur-de-Saumon, qui érigea le grand totem du Nid de l’Aigle à Gitiks, sur la Nass. Githawn, sur ce mat, fit sculpter le Nid de l’Aigle, et la Femme aux Grenouilles portant, en ses mains, une canne au visage humain. Les pieds de la matrone reposent sur la Grenouille, tel qu’il est d’usage dans les blasons de cette famille.

Un chapeau de blason Tlingit


Chapeau Tlingit représentant
la Grenouille,
Hadlyme Ferry, Connecticut
Marius Barbeau, 1950
MCH J6963

Sur la Côte Nord-Ouest, il existe une variété de coiffures cérémonielles confectionnées par les Tlingit, les Tsimshian et les Haida. Histoire de comprendre de quoi ont l’air ces coiffures, en voici un bel exemple. Il est à remarquer que certaines coiffures sont inspirées de la forme cônique d’un volcan. Nous reviendrons sur le sujet, l’article « Volcan de la vallée du Nass » publié dans le Northword est une piste à suivre pour comprendre comment l’histoire Nisga’a a été influencée par son activité volcanique, au milieu du XVIIIe siècle. Sur le site du gouvernement de la nation Nisga’a, on résume aussi cet événement historique

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Exemples de blasons de la Femme aux grenouilles

Pour en apprendre plus à ce propos :


09 – Le Castor rongeant une branche de peuplier

Le Castor rongeant une branche de peuplier (09)
SZDQ 1995-02-28
BAnQ P884 2007-02-001 \ 88 Dossier 32 Diapo 1020

Le Castor rongeant une branche de peuplier, sous la grenouille, devint un blason de famille à peu près vers le même temps On raconte qu’un jour, des voyageurs entrèrent dans la maison de Githawn, au canyon de la Skeena. Comme leur conduite et leur silence étaient étranges, on les suivit à la trace, après leur départ. Comme eux, on escalada le flanc de la montagne. Ils avaient disparu mystérieusement dans un petit lac. La famille de l’Aigle, se rendant compte qu’ils avaient affaire à des castors surnaturels, draina le lac et, après avoir tué les castors, qui cherchaient à s’enfuir, aperçut le Grand castor, blotti au fond du lac. L’ayant tué, ils en firent leur totem (emblème), suivant l’usage. Ils reproduisirent ses traits singuliers sur leurs mâts sculptés, ainsi que les petits visages humains qu’ils observèrent sur son dos et sur sa queue – tel qu’on voit sur le Castor au canyon de la Skeena, ou encore, sur la queue quadrillée du Castor à la Tournée-du-Moulin.

Il a été traité du Castor et de ses restes dans la note « La Queue du Castor Assis » qui révèle pourquoi cette branche n’est pas un simple branche de peuplier. En oubliant cette controverse, conservons la simplicité du récit présenté dans l’article de 1940

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Exemples de blasons du Castor Assis

Pour en apprendre plus à ce propos :


10 – Le Trakolk (moustique)

Le Trakolk « Moustique » (10)
SZDQ 1995-02-28
BAnQ P884 2007-02-001 \ 88 Dossier 32 Diapo 1029

Le gros blason du Trakolk, avec son long nez en forme de bec, à la base du totem, semble avoir beaucoup plus d’importance, bien que son origine reste voilée de mystère. Il joua un grand rôle dans l’histoire récente des clans de l’Aigle, sur la Skeena, où il fut l’objet de querelles sanglantes entre deux grands chefs guerriers. Githawn, fermant le passage du canyon de la Skeena aux commerçants de sa nation, les forçait à lui payer un tribut. Un seul s’y refusa, le grand chef Legyarh. Guerrier puissant et redouté, il déclara la guerre à Githawn, quoique tous deux fussent de deux clans de l’Aigle quelque peu apparentés. Non seulement Legyarh se fraya un passage au canyon, mais il força Githawn à lui céder sa couronne, sur laquelle le blason du Trakolk était sculpté. Au cours de luttes prolongées, cette couronne changea plusieurs fois de mains. Elle est aujourd’hui conservée par un des descendants de Githawn, au village de Port Essington, à l’embouchure de la Skeena. L’artiste Edwin Holgate de Montréal, en fit un dessin, lorsqu’en 1927, il nous la montra. Le portrait du vieux chef, dont elle forme partie, est maintenant dans la collection de la Galerie nationale, à Ottawa (Barbeau 1940:377).

Le blason au bas, si facilement reconnu pour son long nez, nous conduit à un autre aspect essentiel de l’histoire de la région qui fut soumise pendant longtemps à des guerres de clans. Si on désire en savoir un peu plus sur le moustique, voici une petite légende très intéressante à ce titre provenant de la monographie « Haida Myths (Barbeau 1953:196) ».

Après le déluge il y a longtemps, la terre a été pendant un certain temps partiellement recouverte d’eau, selon une légende haïda (15). Lorsque l’eau s’est retirée plus loin, la surface de la terre est restée marécageuse et très chaude et a été infestée d’énormes moustiques, gros comme des chauves-souris, qui ont volé la nuit et ont harcelé les quelques habitants qui restaient dans le pays. Une plainte amère monta des profondeurs, et Nekilstlas, le Corbeau, s’arrêta pour écouter. Puis il a envoyé le Papillon, son messager. Il voulait savoir ce qui pouvait être fait pour améliorer le sort des vivants qui étaient à la fois humains et animaux. Le papillon a ramené une histoire de misère misérable. Ce conte a réveillé le Corbeau et l’a fait invoquer les Skaimsems ou Thunderbirds. Ces énormes oiseaux appartenaient à une tribu de ciel et de montagne semblable à un aigle. Leur pouvoir était de produire du tonnerre et des éclairs et d’exterminer les monstres antédiluviens. Ils ont massacré les baleines en battant des ailes et en leur lançant des éclairs sur leurs becs courbés. Ensuite, ils ont capturé leurs proies dans leurs serres et les ont élevées dans leurs terrasses sur les sommets des montagnes, où eux et leur couvée se nourrissaient de la chair.

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Exemples de blasons du Moustique (Trakolk)

Pour en apprendre plus à ce propos :

  • Port Essington – Sur la carte « Totems Gitxsan » créée par l’auteur, qui recense les localités où on retrouvait des totems sur la Rivière Skeena; une carte Totems Nisga’a a été créée pour les localités sur la rivière Nass.

Les querelles autour de la couronne de Githawn


Reproduction photographique d’un portrait par Edwin Headley Holgate du Chef Wallace Iuam de la phratrie de Larhsail, un des chefs de premier rang de Gitsalas, résidant à Port Essington; sur sa tête, la célèbre coiffure de Githaum, le chef des Aigles, emblème disputée entre un ancien Githaum et le guerrier Legairl (MCH 68136).

En examinant à nouveau la copie numérique en couleur du tableau de Holgate sur la gauche, nous avons localisé un article traitant de son rapatriement : « À travers l’art, les Kitselas cherchent à corriger un dossier historique » dans le Terrace Standard du 14 octobre 2014. Comme on le fait remarquer, « l’histoire d’un portrait de 1926 d’un chef de Kitselas n’est que le début du plan national de rapatriement de l’art du monde entier ». Cette oeuvre acquise en 1927 figure encore dans le catalogue du Musée des Beaux-Arts du Canada (numéro d’acquisition 3494), mais la reproduction numérique en couleur ne figure plus sur la page, ni aucune mention qu’elle a été rapatriée. Cependant, la reproduction en noir et blanc fait encore partie de la collection du Musée canadien de l’histoire. En attendant, la peinture originale serait au Museum of Northern British Columbia à Prince Rupert, puisque les Kitselas sont en attente de ratification de traité et n’ont pas encore de musée local.

Il faut souligner ici un aspect irritant lorsqu’on désire colliger de l’information dans les archives de Barbeau, c’est le manque de constance et de discipline dans les appellations de personnes et de lieux. Dans la fiche descriptive de ce portrait, on parle de « Githaum », dans son texte expliquant le passage de la couronne de « Githwan » et dans les textes anglais, il parle de « Githrawn » – tous la même personne. Et la même chose pour « Legyarh » qui devient « Legairl » dans la fiche descriptive du portrait. C’est un reproche qu’on retrouve d’ailleurs bien exposé dans la biographie officielle de Barbeau, Man of Mana.

Des précisions à venir : Ces querelles sanglantes et le brouillage dans la transmission de la couronne sont racontées dans l’article « Le Nid de l’Aigle » paru dans La Presse du 1er juillet 1933. Elles sont aussi examinées avec force de détails dans « Haida Myths (Barbeau 1953:394) », ce qui aurait même conduit à l’appropriation de l’emblème du Castor. Il discute allègrement de ces conflits dans l’article « Totémisme – Une croissance moderne sur la Côte Pacifique Nord (Barbeau 1944:51-58) ». Nous examinons cette abondante littérature pour débrouiller non seulement le brouillage dans les conflits, mais celui aussi survenu avec de prétendus successeurs du mât Le Nid de l’Aigle lors de son achat; tant d’histoires étranges autour du Nid!

Pour en apprendre plus à ce propos :


Un nouveau monde de légendes s’est entrouvert


Cet examen des blasons et des légendes y étant associées a permis de comprendre comment une meilleure connaissance des blasons permettent de mieux apprécier un mât totémique, surtout en sachant qu’il est avant tout un outil de communication pour raconter l’histoire d’une tribu, d’un chef de clan et la limite de synthétiser l’histoire d’une nation, comme pour les Nisga’a. On comprend mieux alors pourquoi le site gouvernemental de cette nation résume la fonction sociale d’un mât totémique, comme on le voit ci-dessous.

Chaque pts’aan (« totem » ou « mât totémique ») est une liste d’ayukws (blasons). Les Nisga’a élèvent des pts’aan pour raconter l’histoire de leurs familles et de leurs biens. Traditionnellement, lorsqu’un chef élevait un pts’aan, il organisait une fête et racontait son adaawak (histoire traditionnelle). Élever un pts’aan est un signe de richesse. Le sculpteur doit être dûment remercié et la levée des mâts est célébrée par une fête et de nombreux cadeaux au maître sculpteur et aux assistants. La levée des mâts et la fête deviennent le centre d’attention de toute la communauté. Les gens font plus attention à un chef et à son wilp (clan) lorsqu’ils lèvent un pts’aan.

Pts’aan – Gouvernement Nisga’a Lisims

Que peut-on ajouter de plus? Après cette série de notes, est-il possible que nous ayons vraiment gaspillé une oeuvre d’art monumentale d’une valeur inestimable? Permettez-moi de le croire…


INFORMATION COMPLÉMENTAIRE …

Revue des sources documentaires en ligne au moment de la publication, photoreportages ou études de cas en relation avec le thème abordé dans cette note.


L’ enregistrement des légendes

Voici les textes qu’on peut consulter pour en apprendre plus sur chaque blason. Comme ils sont tous en anglais, nous nous occupons à les traduire; un autre chantier. Les traductions seront publiées en deux colonnes, en format PDF, et seront reliées à ce tableau au fur et à mesure qu’ils seront disponibles.

EnregistrementLégendeInformateurAssistantBarbeau
1927Origine du clan des Mangeurs de saumonQayarh ou Sakawouan (Chef Montagne)Barton1950:
16-21
1947Origine du blason de l’Aigle du clan des Mangeurs de saumon Robert StewartBeynon1953:
42-52
1947Origine du blason de l’Oiseau-tonnerreEthel MusgraveBeynon1950:
134-141
1947Un peuple pécheur détruit par un volcan Henry MoodyBeynon1950:65
1948Le volcan de la rivière NassRober StewartBeynon1953:
69
1948Les fantômes après l’éruption du
volcan
Emma Wright1953:
70-74
1949Origine du Castor-Rongeur des Mangeurs de saumon (Gitrhawn).Robert Stewart Emma Wright Beynon1953:
52-55
1952La tradition de Githrawn ou des Mangeurs de SaumonRobert StewartBeynon1961:
3-11
1953Le moustique dans le blason de l’Oiseau-Tonnerren/dn/d1953:
196
Chronologie des récits et légendes sur les emblèmes
Les références de la colonne de droite font appel aux sources documentaires ci-dessous

Les sources documentaires


POUR LIRE CETTE SÉRIE DANS SON ENTIER

Accédez à la chronologie des notes sur l’histoire d’un mât totémique exceptionnel ou partagez-la à l’intérieur de vos réseaux sociaux :

PORTFOLIO : HISTOIRE DU NID DE L’AIGLE

5 réflexions sur “Les blasons et les légendes du totem Le Nid de l’Aigle

  1. Bonsoir,
    En commentant l’un de mes articles de blog (https://lopticoindescurieuxdecuriouscat.wordpress.com/2020/08/30/nature-native-from-seattle-to-nantes-couleurs-totemiques-de-lespoir/), Philippe CREMIEU-ALCAN, avec qui j’ai le plaisir d’échanger depuis 4 ans, vous a cité, en évoquant l’intérêt de votre travail.

    Ce soir, je prends enfin le temps de commencer à lire votre article sur les totems. Formidable ! Cependant, très riche, je devrai tempérer ma gourmandise et y revenir. ;-) A cet effet, je viens de m’abonner à votre blog.

    Belle soirée.
    Catherine (CuriousCat)

    J’aime

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