Erecting totem pole No. 19
Kitwanga 1926 – Fonds CNR – 1926 BAC 3349321
Une fois que le Nid de l’Aigle a été sectionné en deux, hélé sur une barge et transporté en train d’ouest en est, il arrive à Charlesbourg pour l’été 1933. Localement, il deviendra un nouveau symbole de fierté canadienne, trônant au nord de son étang.
Pour le plaisir et l’instruction
Dans l’article « Au Jardin zoologique », publié par Le Soleil, on annonce le don du mât au Jardin. Cette lettre expose bien les motifs de la Société zoologique; on sait que le totem s’en vient.
Québec, le 3 mai 1933.
SOCIÉTÉ ZOOLOGIQUE DE QUÉBEC
Honorable Hector Laferté. C, R.
Ministre de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries,
Hôtel du gouvernement.
Québec, P. Q.Mon cher ministre,
Grâce à un concours fort heureux de circonstances, la Société Zoologique de Québec est entrée en possession d’un des plus beaux totem poles de la Vallée de la Rivière Nass, en Colombie-Britannique. Ce poteau mesure près de 80 pieds de haut et les sculptures qui l’ornementent sont spécialement intéressantes. Il est connu là-bas sous le nom de totem de l’aigle et il raconte, dans son langage symbolique, l’histoire d ’une ancienne et importante famille indienne de la Nass. D’autre part, il dénote une habileté artistique peu ordinaire. Ce poteau totémique est maintenant en chemin et vous arrivera bientôt.
Notre Société, qui doit forcément en disposer en faveur d’un parc de la cité ou des environs, a pensé qu’il serait plus spécialement à sa place au Jardin Zoologique, et je suis chargé de venir vous l’offrir avec les hommages de la Société Zoologique de Québec. Il serait, nous semble-t-il, un attrait de plus à ajouter à tous ceux que le Jardin présentera pour le plaisir et l’instruction de notre population, une fois qu’il sera terminé.
Veuillez me croire,
Votre tout dévoué,
Charles Frémont, Président
C’est ainsi qu’on sait maintenant que le Nid de l’Aigle fera bientôt partie du paysage du jardin. Patience, il reste quelques travaux à faire avant les grandes annonces du 1er juillet.
En marche vers la province
Le 12 mai 1933, deux jours après l’annonce faite dans Le Soleil, lors la douzième séance du Comité du Jardin, on fait la lecture de la lettre de Charles Frémont.

Douzième séance du Comité du Jardin
BAnQ – Fonds P625
Dans une assemblée précédente, M. L.-A. Richard avait été autorisé par le bureau de la direction de négocier avec qui de droit, l’achat d’un Totem Pole au nom de la Société qui devait ensuite l’offrir au Jardin Zoologique de Québec. Le marché conclu et le Totem en marche vers la province, M. le président Frémont écrivait en ces termes à l’honorable Ministre :
Notre Société, qui doit forcément en disposer (Totem Pole), en faveur d’un parc de la cité ou des environs, a pensé qu’il serait plus spécialement à sa place au Jardin Zoologique et je suis chargé de venir vous l’offrir avec les hommages de la Société Zoologique de Québec. Il serait, nous semble-t-il, un attrait de plus à ajouter à tous ceux que le Jardin présentera pour le plaisir et l’instruction de notre population, une fois qu’il sera terminé.
Charles Frémont, président
On travaille sur le totem
Le 15 mai, lors de la treizième séance du Comité du Jardin on effectue du travail de planification; il reste beaucoup de pain sur la planche pour être en mesure d’accueillir le public au milieu de l’été.
On dresse « la liste des travaux à exécuter que les Directeurs de la Société ont jugé comme indispensables pour le printemps et que le comité étudiera à ses réunions hebdomadaires ».
Le travail sur le « totem pole » – comme on le nomme à l’époque – apparaît au numéro 12. Il implique la participation de M. Louis Chollet, paysagiste attitré du jardin et M. Marius Barbeau, ethnologue attitré au projet, pendant juin et juillet.
Après avoir été soumis au ballet bureaucratique de la correspondance et après avoir franchi les remous de l’Assemblée législative, dix-huit mois viennent de passer depuis la première lettre de Richard à Scott en novembre 1931. Le mât s’en vient enfin! Il faudra y effectuer les dernières retouches et le hisser avant que les visiteurs affluent.
On cible les jeunes naturalistes

BAnQ – Patrimoine Québécois / Revues et journaux
L’Oiseau Bleu Août-Septembre 1938
Comme son désire attirer la foule, outre l’arrivée du Nid de l’Aigle, soulignons l’apport des Cercles des jeunes naturalistes, une clientèle cible qu’on encourage à venir explorer les lieux. Le sous-ministre L.-A. Richard les invite cordialement dans L’Action catholique du 20 mai, leur 62e chronique déjà. L’auteur le remercie ainsi : « Espérons que les Jeunes Naturalistes répondront nombreux à une invitation aussi bienveillante et se feront on devoir de profiter de cette occasion exceptionnelle d’étudier la nature hors du manuel scolaire ». Dans un résumé de l’oeuvre de Louis Philippe Audet paru dans Les cahiers des Dix no. 43, on rappelle que c’est « plus de six cents articles qu’il rédigea, de 1932 à 1964, pour le journal L’Action, articles qui constituent la chronique fidèle des activités des Cercles des jeunes naturalistes pour cette période. » On démarre effectivement leur publication dans L’Action Catholique du 31 mars 1932, ce qui coïncide avec l’ouverture de la première saison du jardin; on y parlera principalement de la faune et de la flore, et sporadiquement des attractions du jardin, dont le totem.
Un « trésor folklorique » à préserver
En 1964, Raymond Cayouette, responsable des volières et rédacteur des Carnets de zoologie, décrit l’arrivée du mât en mai 1933 dans son article Le Totem du Nid de l’Aigle. Nous n’avons pas retracé de document illustrant son élévation. Les deux photos d’archives suivantes donnent un aperçu d’une des techniques utilisées pour élever un mât afin d’assurer sa stabilité. Elles furent prises lors des travaux de restauration à Kitwanga, dont on a discuté précédemment.

Bibliothèque et Archives Canada – Fonds CNR – 1926
BAC 3349321

Kitwanga, B.C. Harlan I. Smith – July 29, 1925
Musée canadien de l’histoire
MCH 64327 LS
Ouvrons une parenthèse. La comparaison de l’information apparaissant dans chacune des fiches provenant de deux sources différentes démontre comment il est parfois difficile de disposer de tous les détails permettant de bien faire parler des photographies. C’est pourquoi il faut gérer méthodiquement ses sources documentaires et apprendre à utiliser différents fonds d’archives disséminés en Amérique et en Europe. Par exemple, la première photo provient de Bibliothèque et Archives Canada, sans attribution d’auteur. La seconde provient du Musée canadien de l’histoire; on constate qu’elle est de Harlan I. Smith, cité par Cayouette, dans son explication de l’arrivée du mât.
Lorsqu’en 1933, on érigea le mât totémique au Jardin Zoologique il y eut sans doute moins d’apparat, mais on prit tout de même d’ultimes précautions pour préserver ce trésor folklorique. Le mât était venu par chemin de fer de Prince Rupert en Colombie, en deux morceaux, car on avait dû le sectionner pour le transport. Fraîchement restauré sous la direction experte de monsieur Harlan I. Smith du Musée national, il était reçu à la fin de mai 1933 par monsieur Louis-Arthur Richard, principal fondateur du Jardin, le docteur Armand Brassard, directeur de l’institution et les directeurs de la Société Zoologique. On dut le fixer à une poutre d’acier encastrée dans toute sa longueur et l’asseoir sur une base solide de béton de respectable dimension. Par crainte des foudres de l’Oiseau-tonnerre, on fixa au sommet du mât un paratonnerre, qui sans doute fut très utile par la suite!
Remarquez que Cayouette mentionne qu’il fut élevé avec moins d’apparat. Il fait probablement allusion à la cérémonie d’élévation tenue lors d’un potlatch. Comme il se réfère à des textes de Barbeau à la fin de son article, il est sans doute au courant du déroulement de ces cérémonies. Deux lacunes importantes, souvent mentionnées par les conservateurs, allaient contribuer à fragiliser le mât: la poutre encastrée sur toute sa longueur et la séparation du mât en deux tronçons pour le transport. Ce furent deux portes grandes ouvertes à l’infiltration, conduisant plus facilement à la pourriture. Traditionnellement, on creuse un grand trou et la partie du tronc qui n’est pas sculptée est enterrée dans un nid de roches. On illustre cette pratique en troisième page du meilleur article académique sur la conception des mâts totémiques : Making Northwest Coast Totem Poles, publié par le Centre Bill Reid de l’université Fraser en Colombie-Britannique. Contrairement à ses deux cousins du ROM et du MOA conservés à l’intérieur, il fut exposé aux rudes intempéries du Québec, pendant plus de 60 ans. Le Nid avait également séjourné plus de 60 ans dans le climat particulièrement humide des tourbières de la Côte Nord-Ouest, ayant élevé dans les années 1870 pour une première partie de son existence. Même si les conditions optimales pour bien le conserver n’ont pas été mises en place, il aura été résistant, se rendant à un âge vénérable : plus de 120 ans…
Une tradition qui ne se perd pas

Zen Seekers
Mais l’élévation des mâts est une tradition qui se perpétue sur la Côte Nord-Ouest, même si nous sommes relativement peu informés des pratiques culturelles de l’ouest dans l’est du pays. Une recherche sur Google permet de dénicher un nombre considérable d’articles traitant de ce sujet. Retenons ces quelques exemples contemporains.
- Gwaii Haanas Legacy Pole, publié en 2013 dans BC Magazine;
- Totem Pole raising ceremony in Haida Gwaii, publié en 2017 sur le site Zen Seekers;
- Raising of historic Haida pole comes with apology from B.C. premier, publié en 2018 sur le site de CBC.
Le troisième article explique pourquoi le gouvernement de la Colombie-Britannique dut faire amende honorable.
- Une cérémonie, pour élever un mât totémique historique Haïda au parc provincial Peace Arch, a pour objectif de redresser un tort subi par trois groupes des Premières Nations de la Colombie-Britannique. Ce mât est une réplique d’un mât du village Haïda de Skedans, sculpté pour le Royal British Columbia Museum par Mungo Martin, sculpteur Kwakwaka’wakw renommé.
- Il a été élevé devant le centre d’accueil du parc dans les années 1950, sur le territoire traditionnel de Semiahmoo près du poste-frontière. Lors de la reconstruction de ce centre, il y a dix ans, le mât avait été retiré sans préavis ni consultation. « Nous sommes tous concernés par ce qui s’est passé ici, il y a si longtemps, et nous sommes ici pour faire une réconciliation avec ce qui s’est passé », a déclaré la conseillère de Semiahmoo, Joanne Charles, lors de la cérémonie d’élévation du mât. « Le gouvernement provincial effectue maintenant ce travail pour redresser la situation. »
- John Horgan, le premier ministre de la Colombie-Britannique, a présenté ses excuses pour le mauvais traitement accordé à un mât culturellement significatif. « Il n’y a pas eu de cérémonie au moment où le mât a été élevé pour la première fois. Il n’y a eu aucun respect quand le mât a été abattu et, au nom de la province de la Colombie-Britannique, je veux m’excuser auprès de toutes les personnes impliquées », a déclaré Horgan.
University of British Columbia 3 avril 2017
Ouvrir le plan du mât
1933-2009 – Fermons une boucle de l’histoire

gingolx.ca
Après avoir lu l’article publié en 2018 par CBC, et en évoquant ce qui est survenu au Nid de l’Aigle en 1995, il est nécessaire de réfléchir à l’attitude que nous devons adopter suite au démantèlement du mât. Je déclarais plus haut que nous sommes peu informés des pratiques culturelles de l’ouest dans l’est du pays. Peut-on s’imaginer le contraire? L’ouest est-il aussi peu informé de ce qui se passe dans l’est?

gingolx.ca
En examinant la page dédiée au Nid de l’Aigle du site Anciens Village et Totems Nisga’a conçu en 2009 par le Gingolx Media Centre, on obtient la réponse. Le totem Nid d’aigle était l’un des deux totems les plus hauts et les plus finement sculptés de la rivière Nass. Il avait été érigé au village de Gwinwoḵ, mais une inondation l’emporta en aval jusqu’à Git’iks, où il fut dressé à côté du totem de Sag̱aw̓een vers 1885. […] En 1932, le Jardin zoologique du Québec a acheté le totem du Nid d’aigle et l’a érigé sur son terrain près de la ville de Québec. On pense qu’il a été enlevé au cours des années 1990. (Le Jardin zoologique a fermé ses portes en 2006.) Fermons maintenant cette boucle, s’étant étirée de 1933 à 2009, en nous demandant si une amende honorable doit être faite à la Nation Nisga’a, comme on en fait de plus en plus fréquemment dans le paysage interculturel canadien. Revenons au point d’origine de cette histoire, la première lettre de L.-A. Richard adressée à Douglas Campbell Scott, le 5 novembre 1931; on retourne dix-huit mois avant l’ouverture du Jardin.

Bibliothèque et archives nationales du Canada
BAC – Fonds 206458
Même à Québec, où dans les premiers jours de la Colonie, nos Indiens se mêlaient à un tel degré avec l’homme blanc, avons-nous un souvenir tel qu’un totem rappelant la civilisation plus avancée des Indiens de l’Ouest, je considère que c’est une grande lacune.
Laconiquement, Richard avait vu juste en parlant de la « civilisation plus avancée des Indiens de l’Ouest » où la perpétuation des traditions et le respect du patrimoine culturel persiste même de nos jours… nous y reviendrons…
Le Jardin sur la voie du succès

La Presse, samedi 1er juillet, page 45
En juillet 1933, on peut retracer dans la collection Patrimoine québécois / Revues et journaux de BAnQ plus de vingt articles traitant du Jardin; son ouverture n’est pas passée inaperçue. Le 1er juillet, le journal La Presse dame le pion au journal Le Soleil par un reportage pleine page annonçant l’arrivée du Nid de l’Aigle dans la région de Québec. Barbeau explique d’où provient le totem et souligne les difficultés rencontrées pour l’obtenir parce qu’on considérait qu’il n’était pas à vendre.
Transplanté
sur le
Saint-Laurent,
il a trempé
dans les
eaux salées
du Pacifique,
reliant ainsi
en
quelque sorte
nos
deux côtes
éloignées.
Mon interprète, un métis habile et intelligent, expliqua de ma part au vieux Montagne qu’on lui faisait honneur en préférant son totem à tous les autres, qu’il était urgent de le placer dans un musée, où on le préserverait, et qu’il retirerait de sa transaction une jolie somme, à lui remise rubis sur l’ongle. Le vénérable vieillard, dont les longs cheveux blancs tombaient sur ses épaules, ne pouvait pas nous comprendre. Son esprit était perdu dans les brumes de son grand âge. Lorsqu’il saisit enfin que je voulais acheter le monument érigé à la mémoire de ses ancêtres, il se souvint qu’on lui avait déjà fait une offre semblable. II me donnerait la même réponse. Pour lui personne n’égalait ses ancêtres, cependant que Douglas, il en convint, était jadis le grand chef de tous les blancs; il fut un fameux commerçant de fourrures et le premier gouverneur de la Colombie anglaise. Voici la réponse de Montagne ‘‘Donnez-moi l’épitaphe de Douglas et Je vous donnerai le totem de mes grands oncles”. Inutile d’insister : sa décision était inébranlable. Je résolus donc d’attendre mon heure, qui ne semblait pas éloignée, vu son grand âge. En attendant, j’étudiai avec lui les traditions de son clan, un clan de l’Aigle, dont les migrations étaient l’objet de récits épiques. II se mit à me les dire et je constatai en lui un regain de vie qui monta jusqu’à l’ardeur. »
Le chef Montagne faisait référence à James Douglas, administrateur de la Hudson’s Bay Company et gouverneur de l’Île-de-Vancouver et de la colonie royale de Colombie-Britannique. Il est assez clair que Montagne n’apprécie guère les méfaits de la colonisation britannique.
Une expédition sur la Nass en 1927

Marius Barbeau
Archive.org
Barbeau raconte son expédition sur la rivière Nass, de Arrandale jusqu’à ce qu’il appelle la ville du Lézard, nommée aujourd’hui Gitwinksihlkw. Entre ces deux endroits, il s’arrête au village abandonné de Gitiks où il voit le Nid de l’Aigle pour une première fois. D’autres sont passés avant lui; nous y reviendrons. Il continue son itinéraire et redescend vers le sud en passant par Lava Lake, pour ensuite remonter la rivière Skeena, territoire de la Nation Gitksan; il se rend finalement à la Forteresse. Une note reprenant ce voyage, accompagnée de la carte Barbeau au pays des totems, sera publiée à la fin d’août. La carte est un travail en progrès, déjà accessible en ligne. En plus de reproduire intégralement le récit publié dans le journal La Presse en juillet 1933, nous étudions actuellement la biographie Man of Mana, Marius Barbeau, publiée en 1995 par Laurence Nowry. Le récit de ce voyage sur la Nass raconté par son biographe, en conjonction avec l’article orignal, devraient permettre d’élucider certains aspects du processus d’acquisition du Nid de l’Aigle que nous dévoilerons au moment opportun.
Montagne n’est plus…

Marius Barbeau
Le Soleil du 12 juin 1946.
Barbeau, à la fin de son article, nous fait part des circonstances tragiques qui lui ont finalement permis de conclure cette transaction commerciale. Il les rappelle également dans Le Soleil du 12 juin 1946.
Cependant la situation avait changé dans le clan de l’Aigle. Le vieux Montagne était mort à bout d’âge —celui qui m’avait demandé le monument de Douglas en échange de son totem. Ses héritiers ne partageant pas ses scrupules, me cédèrent, d’abord, l’Aigle volant, pour le Musée Royal de Toronto, et, plus tard, le Nid de l’Aigle, pour le parc de Québec. Le Nid de l’Aigle, ce printemps, a fait le voyage de Prince Rupert à Québec; il a justement été restauré, sous la direction de M. Harlan I. Smith, du Musée national; et il vient d’être planté sur les hauteurs, près de Charlesbourg, par M. L.-A. Richard et son personnel. Dorénavant il sera un des traits distinctifs du nouveau parc provincial de zoologie, de botanique et de traditions nationales, à la Tournée-du-Moulin.
Ce qu’on rapporte sur l’état chancelant du chef Montagne au début de l’article, et sa mort à la fin, reflète les conditions étranges dans lesquels certains mâts furent acquis. Pourrait-on croire que ceci est de l’opportunisme?
Prestige et rivalité
Barbeau rappelle également que la rivalité entre les clans fait partie intégrante de la culture Nisga’a, soulignant que le clan de l’Aigle s’est établi sur la rivière Nass suite à une invasion. C’est une dimension politique de sa stratégie d’acquisition des mâts qu’il n’est pas possible d’ignorer. Il souhaite même que le prestige du clan de l’Aigle se reflète dans l’est du pays.
Le prestige du clan de l’Aigle ne fera qu’y gagner, dans Québec et l’Ontario. La foule des visiteurs, chaque année, admirera l’originalité de ses blasons et le génie de ses sculpteurs. Pourquoi les Loups s’obstineraient-ils plus longtemps à rester à l’écart, dans la lutte de suprématie, qui se prolonge au-delà de leurs frontières? Pourquoi ne céderaient-ils pas, à Québec, eux aussi, leur totem géant, qui reprendrait sa préséance sur les Aigles?
On vient d’en souffler un mot de ma part à l’oreille des chefs du Loup, et ils m’ont justement écrit une lettre se déclarant prêts à vendre leur totem pour cent piastres de plus que celui de l’Aigle. La différence du prix, croient-ils, réaffirmera l’irrévocable supériorité du Loup sur l’Aigle, chez eux et de par le monde!
Barbeau n’est pas effrayé par ces conflits, semble-t-il. Au contraire, il est avide et ambitieux, au point de souhaiter que le clan des Loups lui cède un autre mât! Il faut bien retenir cette histoire. Quand on examinera la période de 1990 à 1995, précédant le démantèlement du mât, on verra également que des rivalités similaires peuvent survenir dans notre propre culture, cette fois-ci entre un ministère gouvernemental et une organisation sans but lucratif.
Une semaine plus tard à Québec…
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Un « totem pole »
authentique
des forêts isolées
des
Montagnes Rocheuses
que les connaisseurs
regardent
comme un superbe
spécimen
de l’art indien
L’article Un Totem pour Québec de Marius Barbeau, en quatrième page du supplément soulignant l’ouverture du Jardin zoologique en raconte un peu plus, dont la légende fondatrice du peuple Nisga’a. Plus facile à lire en ligne, une version révisée été publiée dans Le Canada Français de décembre 1940.
L’éditorial Au Jardin zoologique provincial fait l’éloge d’Hector Laferté en soulignant les différents aspects du projet dans lesquels il est intervenu. On mentionne également le projet de reproduction d’un ancien village canadien, on rappelle l’existence du zoo du Manoir Kent et on met en valeur la contribution du sous-ministre L.-A. Richard.
Montréal rajoute son mot

La Presse, samedi 8 juillet 1933, page 48

Marius Barbeau
Scientific American
Août 1932 – pages 86-89
Article sur JSTOR
Le reportage D’où vinrent les sauvages du journal La Presse reprend une théorie élaborée par Barbeau dans son article « How America was Peopled », publié dans le Scientific American d’août 1932. Dans ces deux articles assez similaires, il fait part de sa conception de l’arrivée des autochtones en Amérique, en plus de l’arrivée des animaux. Il résume aussi les traits de la culture autochtone de la Côte Nord-Ouest. Ce qui étonne, à la lecture de ce long article publié dans un grand quotidien, c’est le niveau d’érudition de Barbeau. Non seulement s’est-il intéressé à la culture de la Côte Nord-Ouest, mais en plus, il brosse un portrait fascinant du peuplement de l’Amérique à travers les grandes migrations ayant eu lieu des milliers d’années auparavant et permettant de faire comprendre que les Premières Nations étaient là bien avant l’arrivée des civilisations européennes. C’était sa façon de justifier son admiration pour les pratiques artistiques des autochtones à l’autre bout du pays. Plus de quatre-vingt ans après cette publication et malgré l’évolution de nos connaissances sur le peuplement des Amériques, plusieurs de ses vues s’avèrent encore applicables dans leurs grandes lignes.
Troisième trimestre 1933 : La route du succès

Ministère de la voirie, rapport 1935, page 11
Bibliothèque Assemblée Nationale du Québec
Le Jardin zoologique devient un point focal du tourisme dans la région de Québec. On projette accueillir 100 000 visiteurs à la fin août.
Juillet
Comme la radio captive l’auditoire de la province dans les années 1930, on diffuse périodiquement des causeries en direct. Elles sont animées par des membres de la Société zoologique. Par exemple, on publie le compte-rendu de celle donnée par le docteur R. Rajotte, dans l’édition du lundi 17 juillet. Le 20 juillet, on invite un groupe visiteurs de l’hôtel de ville, dont le maire Lavigueur. Le 26 juillet, on annonce fièrement que le jardin a reçu 35 000 visiteurs.

alabordache.fr

Ouvrir dans BAnQ – Collection Patrimoine québécois / Revues et journaux
Le 28 juillet sera l’événement le plus remarquable pour les membres de la Société Zoologique. Le jardin accueille de la visite prestigieuse! M. René Turck, le nouveau consul général de France au Canada, arrive par le train du Pacifique Canadien le 27 juillet, tandis que le croiseur français D’Entrecasteaux arrive le 28 devant la Citadelle, en saluant la ville de 21 coups de canon.

Ouvrir l’article original sur le site de BAnQ
Patrimoine québécois / Revues et journaux
Un programme de réceptions et de divertissements s’enchaîne pour les marins et sous-officiers du croiseur. Le vendredi et le lendemain, deux groupes auront droit à une promenade en autobus à Charlesbourg, au Jardin Zoologique. Samedi soir, on tient un banquet chez Kerhulu, sous les auspices de la Société Française de Bienfaisance, offert au Consul Général de France, au Commandant du D’Entrecasteaux et à son État-Major. Enfin le lundi, en après- midi, la Société zoologique de Charlesbourg donne une réception au jardin pour les officiers de bord.
Août

Le samedi, 5 août 1933, page 10
- Le 1er août, voici les visiteurs heureux devant la maison canadienne du jardin – si vous ouvrez la page en ligne, vous verrez aussi ces nombreux marins photographiés dans un champ! Le 5 août, on souligne l’inauguration du Jardin Zoologique en même temps que celle du nouveau Musée Provincial sur les Plaines d’Abraham; remarquez que le moulin est encore entouré d’un échafaudage, ce qui indique que le jardin est un chantier en progrès! Le 10 août, on annonce 50 000 visiteurs et on parle déjà d’élargir la route. Le 31 août, on prédit 100 000 visites au Jardin.

Ouvrir dans BAnQ – Collection Patrimoine québécois / Revue et journaux
Pour revenir sur les causeries, on publie le 25 août l’intégralité de celle donnée par Edgar Rochette, vice-président de la Société de zoologie, qui retrace toute l’histoire du jardin. On y souligne notamment pourquoi la Société zoologique est née.
De plus, vu qu’à la différence des organisations du même genre notre Jardin Zoologique était propriété gouvernementale, il fut trouvé nécessaire d’y adjoindre un autre corps pour faire rayonner mieux par toute la Province son oeuvre éducationnelle, pour assurer sa vie interne et externe, pour consolider et compléter son objet scientifique et. enfin, pour s’occuper des menus détails de la vie journalière. C’est alors qu’est née la Société Zoologique de Québec [en juin 1932].
Septembre
Le 6 septembre, le Club Automobile suggère un élargissement de la route menant au jardin et le 29 septembre on confirme la réalisation de ce projet. En consultant le rapport annuel du ministère de la Voirie, on constate effectivement que les ententes entre le gouvernement du Dominion et le gouvernement de la province permettent d’engager des travailleurs provenant des endroits où le chômage est particulièrement élevé. On les envoie notamment dans le parc des Laurentides. Le jardin drainant un grand nombre de visiteurs, le ministère de la Voirie fera élargir à 66 pieds la route de Charlesbourg qui conduit à Notre-Dame-des-Laurentides en passant devant le jardin. Des arpenteurs sont déjà sur les lieux et on commencera les travaux d’élargissement dès qu’Ottawa les aura approuvés.

Ministère de la voirie, rapport de 1933, page 68
Bibliothèque Assemblée Nationale du Québec

Ministère de la voirie, rapport de 1933, page 197
Bibliothèque Assemblée Nationale du Québec
Simultanément, dans plusieurs camps du Parc National des Laurentides, le ministère de la Voirie emploie 600 hommes travaillant à la réfection de la route du Parc. Bref, ce trimestre se sera achevé sur un air de prospérité économique; on fait travailler des chômeurs, enfin, après ceux engagés sur la ferme expérimentale et le jardin.
Une seconde saison réussie

SZQ 298 à retracer (Cayouette 1987:62)
Comme on l’a vu, l’année 1933 a été marquée par l’arrivée du Nid de l’Aigle, soulignée par quelques articles illustrés. À ses débuts, le jardin étant un chantier, on avait simplement invité les gens à le visiter sans déclarer d’ouverture officielle comme on peut le voir dans L’Action catholique du 5 mai. À l’automne, dans Le Soleil du 6 novembre, en annonçant qu’il fermera la semaine suivante, on se félicite d’avoir atteint cet objectif de 100 000 visites de l’été qu’on s’était fixé le 31 août. « Le Jardin créé pour répondre à un besoin éducationnel a rempli sa mission. Les jeunes naturalistes par groupes ou isolément s’y sont rendus souvent et y ont sans doute acquis des connaissances considérables. »

Patrimoine québécois / Revues et journaux
Le Canada Français Décembre 1933
En décembre finalement, L.-A. Richard clôt l’année en publiant l’article « Le Jardin Zoologique de Québec » dans la revue Le Canada Français de décembre. Dans ce bilan des deux dernières saisons (1932 et 1933), il souligne quelques faits importants sur l’utilité du jardin zoologique, sur son lien avec le projet de la ferme expérimentale et sur sa contribution à l’activité touristique.
Plutôt que de faire exécuter des travaux d’une nature plus ou moins utile dans la banlieue de Québec pour venir en aide aux chômeurs, ils se sont entendus pour doter la ville et la province de Québec d’un jardin zoologique greffé sur la ferme expérimentale des animaux à fourrure dont le gouvernement Taschereau venait d’entreprendre l’organisation. Non seulement les chômeurs y ont trouvé leur compte, mais encore notre ville en a retiré des avantages considérables au point de vue éducationnel de même qu’au point de vue touristique.
Il conclut enfin que le jardin est un grand succès. « Il est certain qu’au point de vue touristique, le Jardin est déjà un très grand succès, et rien ne le prouve avec plus d’éloquence que l’affluence des visiteurs au cours de l’été et de l’automne ».
Les revues et journaux
En fin de compte, on aura publié plus de 70 articles sur le jardin en 1933, dans les les revues et journaux du Québec; on aura évoqué le Jardin zoologique de Charlesbourg, d’autre fois le Jardin zoologique de Québec et même du Jardin zoologique provincial. On sait maintenant comment il a été difficile d’acquérir le Nid de l’Aigle, et le 1er juillet 2019 nous sommes devant 86 ans d’histoire. Mais l’histoire du Nid n’est pas terminée encore, parce qu’il sera présent pendant plus de 60 ans sur le site du Jardin zoologique.
INFORMATION COMPLÉMENTAIRE …

Revue des sources documentaires en ligne au moment de la publication, photoreportages ou études de cas en relation avec le thème abordé dans cette note.
- Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ)
2019 – Collection Patrimoine québécois / Revues et journaux
– Articles sur le Jardin zoologique Charlesbourg – Le Soleil – 1933 - Barbeau Marius
1932 – « How America was Peopled »; Scientific American, Vol. 147, No. 2, August : 86-89
1940 – « Le totem du Nid de l’Aigle »; Le Canada Français, Québec, Vol. XXVIII, No. 4, décembre : 371-378
1950a – « The Eagle’s-Nest of Gitiks (Nass River) »; Totem Poles, Vol. 1 :42-26
1950b – « The Restoration of Gitksan Totem Poles » : Totem poles Vol. 2 : 856-859 (reproduction de son rapport de 1926). - Cayouette Raymond
1964 – « Le totem du Nid de l’Aigle »; Les carnets de zoologie, Vol. 24, No. 2 : 20‑22 - « Douglas, Sir James »; Dictionnaire biographique du Canada, Vol X, 1871-1880
- Ministère de la voirie – « Rapport de 1933 »; « Rapport de1935 »; Rapports annuels de 1912 à 1945 – Bibliothèque – Assemblée Nationale
- Potvin Damase
1941 – « Le Nid de l’Aigle »; Carnets de zoologie, v.1, no.1, 80-81 (seconde édition) - Simon Fraser University
2019 « How to make a totem pole » (Traduction Google) - Ward Kevin
2017 « Reconciliation Pole installed at UBC » (Traduction Google)
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