Gros remous à l’Assemblée législative en avril 1933

Séance de l’Assemblée législative de la province de Québec.
W. P. Edwards photographe 1933-04-05.
BAnQ – Fonds Télésphore Bouchard P10,S1,P46

La crise des années 1930 ne fait pas bon ménage avec la création d’une ferme expérimentale, d’un jardin zoologique et d’un village canadien auquel s’ajoutera un totem. La tempête parfaite!

Laferté versus Duplessis

Il y a peu de photos d’archives témoignant des travaux de l’Assemblée législative du Québec dans les années 1930. C’est un coup de dé d’en trouvé une prise au moment où on discute des enjeux reliés aux projets de la Ferme expérimentale et du Jardin zoologique.

En plus des séances du Comité du Jardin et de la correspondance qui circule en toile de fond, le ministre de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries Hector Laferté devient un ardent défenseur du Jardin zoologique. Il interviendra à plus de 5 reprises en un mois, pendant la 2e session de la 18e législature qui s’étend du 10 janvier au 13 avril. Une de ses interventions importantes sera pour défendre son budget, à la séance du vendredi 31 mars. Il justifie 160 000 $ de dépenses, sur un budget initial de 175 000 $ adopté un an auparavant. Ce budget prévoyait 100 000 $ pour la construction de la Ferme expérimentale et 75 000 $ pour celle du Jardin zoologique, dont des travaux effectués par 125 ouvriers en vertu de la loi du chômage. Il croisera aussi le fer avec Maurice Duplessis; un combat mené dans un contexte économique très difficile. On constate que le Jardin zoologique bénéficie d’une bonne couverture de la part des journalistes parlementaires en consultant les Revues et les journaux de la collection patrimoniale de BAnQ, de janvier à mai 1933. En parcourant les articles dans leur contexte, que ce soit dans Le Soleil et L’Action catholique de Québec ou dans La Presse et Le Devoir de Montréal, on entrevoit le climat de crise de l’époque. Concentrons-nous sur ce qui se dit à l’Assemblée législative. Même si des remous sont causés par les projets du Jardin zoologique, de la Ferme expérimentale et du Village canadien, ils ont pourtant une visée touristique essentielle : amener des gens à Québec pour y stimuler l’économie.

Douze millions pour les chômeurs…

BAnQ – Patrimoine québécois / Revues et journaux
Le Soleil du 4 février 1933

Dans l’article « Près de douze millions pour aider le chômeur », on fait part des dépenses pour le zoo. En période de crise, on rappelle les dépenses du gouvernement : « Une somme de 11 930 923,05 $ a été dépensée par la province et le fédéral du 30 juin 1931 au 30 juin 1932 dans le Québec pour secourir les chômeurs — La Cité de Québec a reçu près de 700 000 $ ». On détaille les dépenses pour le ministère chapeautant le projet du Jardin : « Le ministère de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries a dépensé 359 188,25 $ en travaux, 153 009,94 $ en secours directs et 75 000 $ pour l’aménagement du jardin zoologique de Charlesbourg ». Bref, les dépenses pour le Jardin représentent près de la moitié de ce qui est dépensé en secours directs; cependant, on oublie de mentionner que c’est surtout en main d’oeuvre, pour faire travailler les chômeurs.

Une grande volière pour le Jardin…

BAnQ – Patrimoine québécois – Revues et journaux
Le Soleil 6 février 1933 page 3

Il commence à y avoir des réalisations concrètes qu’on illustre au public, avant l’ouverture officielle. Dans Le Soleil, on présente « cette vaste volière que l’on vient de construire au Jardin zoologique de Québec, à St-Pierre de Charlesbourg, pour le Ministère de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries. Cette construction, exécutée par la maison Jobin & Paquet de Québec, dont on voit le propriétaire et les représentants au premier plan, est d’une longueur de 100 pieds. Sa largeur est de 46 pieds et sa hauteur, de 35 pieds ».

18e législature, 2e session – Janvier à Avril 1933

Louis-Alexandre Taschereau
Montminy & Cie – Vers 1930
BAnQ Collection patrimoniale

Il faut se rappeler que c’est sous le règne du premier ministre Louis-Alexandre Taschereau que se déroulent les débats. Il sera confronté par Duplessis sur un mandat spécial de 20 000 $ pour l’achat d’animaux – car il en faut bien, pour le Jardin. Le jeudi 2 mars, le torchon brûle entre Taschereau et Duplessis – un fidèle opposant au projet du Jardin ; des besoins criants s’expriment au niveau de l’assistance publique requise en temps de crise.


M. Duplessis (Trois-Rivières) : Nous y venons à l’assistance publique. Nous y constatons la même chose. Pourquoi le gouvernement a-t-il retardé les paiements des octrois aux hôpitaux, en vertu de la loi de l’assistance publique ? […] Que faisait-on pendant que l’on criait que le gouvernement ne pouvait pas payer ses dettes d’honneur ? On passait des mandats spéciaux permettant de dépenser 20 000 $ pour le jardin zoologique de Charlesbourg […]. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas fait un mandat spécial pour les hôpitaux, puisqu’il en a fait pour des choses moins importantes comme le jardin zoologique et l’impression des documents publics ?

L’honorable M. Taschereau (Montmorency) : L’honorable chef de l’opposition nous répète son discours de l’autre jour.

M. Duplessis (Trois-Rivières) : C’est que je suis constant. Si le gouvernement prenait un tel soin des animaux du jardin zoologique, il me semble qu’il aurait dû prendre un soin au moins égal pour les êtres humains qu’abritent les hôpitaux. […] S’il a été capable de trouver 20 000 $ pour les animaux du jardin zoologique, il devrait être capable de trouver les moyens de payer les hôpitaux. D’autant plus que ces mandats spéciaux ont été passés en marge de la loi.

Encore l’aide aux chômeurs

Le Devoir, 10 mars 1933 à la une.
Mandats spéciaux
Suite de la une
Le Devoir du 10 mars page 2

Le jeudi 9 mars, le sujet revient sur le tapis, et cette fois, Taschereau offre aux membres de l’Assemblée un longue tirade très intéressante à lire. On voit bien comment il maîtrise et défend le budget du ministère de la Colonisation, notamment en mettant en relief les autres subsides alloués pour couvrir les besoins des « nécessiteux » comme on les appelle à l’époque. Le lendemain, dans le Le Devoir on utilise deux pages pour couvrir cette longue séance du conseil, qui s’étire de 15h00 à 23h45. En considérant ce qui est rapporté, on peut comprendre que ce mandat spécial destiné au Jardin constitue une mince somme, en comparaison du montant total des autres mandats, qui représente quand même une dépense de près de 350 000 $. C’est aussi une belle opportunité de prendre connaissance des priorités de l’époque, comme le défrichement par les colons, les chemins de colonisation ou la prise en charge des colons sinistrés. Taschereau ne semble pas avoir de difficulté à relancer Duplessis avec ces détails sur les différents postes budgétaires. Mais ce débat n’a pas fini de s’étirer. On se retrouve déjà en avril.

On félicite enfin Richard

Le mercredi 5 avril, on avait déjà répondu aux questions concernant la dépenses de 1 700 $ pour l’achat de plus de 120 animaux pour la ferme expérimentale et le jardin; on fournit même une liste détaillée par famille et par genre. Remarquons qu’on a consacré la même somme pour se procurer le Nid de l’Aigle, misant sur son pouvoir d’attraction pour les touristes. On remarque cependant qu’on ne fait aucun commentaire à ce sujet, puisque que ce projet est en principe mené en sous-marin; ce n’est qu’en mai que le Nid fera surface, sous la forme d’un don, comme on verra. Le mardi 11 avril, lors de l’adoption d’un nouveau budget, la contribution du sous-ministre Richard est soulignée. La Chambre poursuit l’étude d’un nouveau budget pour le ministère de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries. M. le sous-ministre L.-A. Richard vient s’asseoir à côté de l’honorable M. Laferté pour renseigner la Chambre. M. F.-M. Gibaut, chef du service des pêcheries maritimes, est aussi sur le parquet.


L’honorable M. Stockwell (Brome) propose : Qu’un crédit n’excédant pas trois cent mille dollars soit ouvert à Sa Majesté pour pêche, chasse et pisciculture, élevage des animaux à fourrure et jardin zoologique, pour l’exercice finissant le 30 juin 1934.

M. Guertin (Hull) : Le ministre pourrait-il nommer les animaux du jardin zoologique ? Y a-t-il un nommé Wajite?

L’honorable M. Laferté (Drummond) : Non, mais il y a une mère ourse du nom de Mercédès.

M. Duplessis (Trois-Rivières) : Est-ce que les animaux sont achetés par le ministre ou le sous-ministre ?

L’honorable M. Laferté (Drummond) : C’est l’oeuvre du sous-ministre. 

M. Guertin (Hull) : C’est donc le sous-ministre qui fait le choix des bêtes.

M. Duplessis (Trois-Rivières) Le sous-ministre (M. L.-A. Richard) a fait un travail merveilleux pour doter la province de ce jardin zoologique. L’Action catholique, dont l’honorable ministre a parlé, a fait des articles élogieux à ce sujetLe gouvernement a fait sans doute des expériences pour les cultivateurs qui ont perdu 2 000 000 $ dans l’élevage des renards.

L’honorable M. Laferté (Drummond) : On ne peut tenir le département responsable de tous les péchés d’Israël.

M. Duplessis (Trois-Rivières) : L’item est adopté.

La résolution est adoptée.

L’honorable M. Laferté (Drummond) : Je dois rendre le témoignage au sous-ministre que le Jardin zoologique est son oeuvre. 

M. Guertin (Hull) : On devrait séparer les items du budget. 

L’honorable M. Laferté (Drummond) : Le budget est divisé en 11 items. 

M. Guertin (Hull) : Je n’en vois que quatre. 

L’honorable M. Laferté (Drummond) : J’en compte pourtant 11.

M. Guertin (Hull) : Le gouvernement refuse de répondre à certaines questions et de ne discuter ces crédits qu’aux dernières minutes de la session, alors que le premier mois, le gouvernement n’a rien fait? 

On voit bien qu’on ne lésine pas à s’obstiner sur les détails, lorsqu’il s’agit de traiter des affaires du Jardin zoologique.

L’argent des infortunés

Le mercredi 12 avril, on voit bien comment la crise mobilise l’attention, alors que le Ministre Guertin, whip du Parti conservateur, réclame un régime d’assistance aux mères nécessiteuses.


M. Guertin (Hull) : Cette loi que je réclame s’impose dans notre province. Elle existe ailleurs. Il faut que les infortunés de notre province soient traités aussi équitablement que les infortunés des autres provinces. Pourquoi faire bande à part ? Pourquoi nous montrer différents des autres ? Nous sommes catholiques. Notre religion nous dit que la vie familiale est la base de la société. Le moyen d’encourager la vie familiale est d’aider les mères, les veuves, qui veulent élever convenablement et confortablement leurs enfants. Si le gouvernement a de l’argent pour le pont de l’Île d’Orléans et pour le jardin zoologique, il pourrait en trouver pour les mères nécessiteuses. […] .

Mais le « Totem Pole » s’en vient…

Ainsi ce débat se termine… ce sera en mai, après la fin de la session, qu’on annoncera le don du totem, car jusqu’ici, il n’était question que du Jardin, après tout.


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