Pigeon voyageur cherche un Nid en 1931

Le sous-ministre de la colonisation L. A. Richard, le peintre Horatio Walker, le surintendant des parcs J. C. Garneau et le sous-ministre de la province Charles-Joseph Simard et leurs prises
Canadian National Railways, vers 1930
BAnQ P428,S3,SS1,D32,P3

Comment un sous-ministre astucieux réussira-t-il à importer un totem de Colombie-Britannique à Charlesbourg, alors que cela n’est pas permis? Tout un réseau d’influenceurs se mettra à l’oeuvre.

Un pêcheur qu’on honore

Tentons de voir qui était le sous-ministre Louis-Arthur Richard, à travers quelques traits de sa personnalité. C’est lui qui sera à l’origine de l’arrivée du Nid de l’Aigle à Québec. En haut de page, c’est au Lac Bayon du parc national des Laurentides qu’a lieu ce voyage de pêche. Richard est en compagnie du peintre Horatio Walker, membre du Groupe des Sept et du Canadian Art Club. Walker aime bien peindre la vie des habitants de l’Île d’Orléans et Richard entretient avec lui une relation cordiale.

Hommage des chefs indiens au sous-ministre L.A. Richard
Neuville Bazin, 1948 – BAnQ –E6,S7,SS1,P61361

Dans la seconde photo prise en 1948, il reçoit un document honorifique; il entretient de bons contacts avec le peuple autochtone. L’article « Les Cris rendent hommage à M. Louis-Arthur Richard », paru dans le journal La Presse du samedi 10 janvier, démontre bien comme son intérêt pour la protection de la faune a été apprécié de leur part.

Fac-similé – journal La Presse – samedi le 10 janvier
BAnQ – Collection patrimoniale

On souligne sa contribution à l’organisation des sanctuaires pour l’élevage des castors, dans les « solitudes du nord ». Elle se concrétise par 4 arrêtés en Conseil (37 à 40) dans la Gazette officielle du Québec (1946-09-14 : 2454). Comme on indique qu’il contribue à la protection des castors depuis 15 ans, on comprend qu’il appuie cette cause depuis 1933 , ce qui remonte à l’époque de l’ouverture du Jardin zoologique et de la Ferme expérimentale à Charlesbourg.

Fac-Similé – Les vingt-cinq années du Jardin zoologique de Québec (pp. 52-53)
BAnQ – Collection patrimoniale (vérifier fonds)

L’article « Les vingt-cinq années du Jardin zoologique de Québec » publié dans Les Carnets de la Société zoologique de Québec d’avril 1956 met bien en lumière les origines du projet de Jardin zoologique et les circonstances qui inspireront Richard pour ramener un mât totémique à Québec. Nous l’avons mis en ligne, car c’est un des écrits les plus complets pour bien comprendre la genèse de ce projet. À contre-courant des préjugés, même si son projet de ferme expérimentale et de jardin créera des remous à l’Assemblée législative en 1933 en pleine crise économique, comme on le verra dans la prochaine note, il aura mis au travail plus de 100 chômeurs pendant cette période.

1912 – Un pigeon voyageur

Castle Mountain from Windermere Road in Banff National Park 1910s, CVA AM54-S4-: Mount P92

Il faudra encore plus d’audace pour envisager ramener un mât totémique de l’ouest du pays. Ce type d’art monumental est inconnu dans l’est du Canada. Sa récompense viendra plus tard quand Marius Barbeau soulignera que le Nid de l’Aigle « fait honneur au parc provincial, et le mérite d’avoir songé à l’acquérir revient à M. L.-A. Richard, sous-ministre de la Colonisation et à ses collègues de la Société de zoologie. » Dans la note biographique en fin d’article, on comprend que Richard, secrétaire particulier du Premier ministre Lomer Gouin en 1911, a été amené à voyager dans l’ouest canadien et aussi dans différents jardins zoologiques.

Tout comme son secrétaire particulier, Sir Lomer Gouin aimait les voyages et, ayant entendu parler des splendeurs des Rocheuses, et de l’immensité des plaines de l’Ouest, il partit, en 1912, avec quelques amis dont son secrétaire, pour la Colombie-Britannique. Monsieur Richard, s’avérant un excellent mentor, Sir Lomer lui propose de l’accompagner, l’année suivante, lorsqu’il fit un voyage en Europe.

Jardin des Plantes. Eléphant de l’Inde – 1909
MNHN IC439

Et il ajoute ce détail, qui touche spécifiquement les jardins et les ménageries.

Ce dernier voyage permit à Monsieur Richard de visiter les Jardins zoologiques de New-York, de Paris et de Londres et déjà, une idée, qui devait germer quelques années plus tard, était implantée dans son cerveau : Québec pourrait-il un jour avoir son jardin zoologique ?

Des alliés de Richard et des influenceurs

Richard n’est pas seul dans ses songes. Des alliés se joindront à lui en cours de route. L’implication de nombreux preneurs de décisions, à différents paliers des gouvernements du Canada, de la Colombie-Britannique et du Québec, permettront l’aboutissement d’un projet qu’on pourrait qualifier d’audacieux.


Quatre personnes influentes se démarqueront dans la chaîne de correspondance qui s’étirera de novembre 1931 à mai 1933. Le défi commun est d’amener une œuvre d’art monumental de la Colombie-Britannique à Québec – nous avons tenté de repérer pour chacun d’eux la meilleure notice biographique en ligne.

  •  Marius Barbeau est un ethnologue réputé du Musée de l’histoire qui contribue au recensement ethnologique sur la Côte Nord-Ouest. Ils publie dans de nombreuses revues académiques afin d’expliquer les pratiques artistiques et culturelles reliées à la sculpture et à l’élévation des mâts totémiques.
  • Harlan Ingersoll Smith, archéologue de la même institution, voyage aussi dans la même région, avec des intérêts similaires, mais est surtout impliqué dans le projet de restauration des totems de Kitwanga.
  • Douglas Campbell Scott, à titre d’assistant du surintendant général, occupe le second siège des Affaires indiennes. Avec le recul de l’histoire cependant, il n’occupe pas un siège vraiment confortable, ses relations avec le peuple autochtone étant plutôt de type colonialiste. Même s’il voulait sauver le patrimoine culturel de la Côte Nord-Ouest, il a prôné une politique d’assimilation, dont ces fameux pensionnats autochtones. La lecture de sa courte biographie dans l’Encyclopédie canadienne résume assez bien cette ambiguïté.
  • Simon Fraser Tolmie, siégeant à titre de premier ministre de la Colombie-Britannique, veille tant bien que mal à protéger le patrimoine culturel autochtone de la Côte Nord-Ouest en appuyant les politiques qui découragent l’exportation des mâts.

Ensemble, ces personnes aplaniront les aspérités administratives qui risquent de retarder l’arrivée du mât à Québec; leur exportation étant interdite en Colombie-Britannique. Ce sera une course à relais, entre ces preneurs de décisions.

Des idées se formalisent

Les idées de Richard feront une marque indélébile dans l’histoire de la région de Québec, les menant au delà de simples expériences de pensée. On retrouve des traces de ce désir d’avoir un jardin zoologique dans la région à travers les journaux, et on assistera à la naissance d’un maillage de correspondance qui s’étendra à travers son réseau d’influences.

1923 – Visite importante de Détroit

Fac-similé – La Presse du vendredi 10 août page 4
Ouvrir dans BAnQ
Patrimoine québécois / Revues et journaux

Il y a parfois des projets qui cogitent dans la tête des politiciens pendant de nombreuses années et lorsqu’il s’agit du premier ministre de la province, la mémoire est persistante; en voici un exemple. M. Richard E. Follett directeur et secrétaire de la Detroit Zoological Society, qui est un québécois, est venu passer quelques jours à Québec pour renouveler connaissance avec ses anciens concitoyens. Il a fait visite su premier ministre Taschereau et A plusieurs autres citoyens distingués. Dans une Interview, il s’est déclaré étonné de ne pas voir de Jardin zoologique à Québec et il a exprimé l’espoir d’y en voir établir un avant longtemps. Il croit que cela constituerait un attrait de plus pour notre ville, qui en a déjà tant d’autres.

Taschereau soutiendra effectivement son projet avec le ministre de la Faune et des pêcheries, Hector Laferté et son sous-ministre Louis-Arthur Richard, huit ans plus tard. C’est la première mention d’un projet de jardin zoologique retracée, pour le moment.

1931-07 – Création du Comité du Jardin

Comme on explique clairement dans la notice biographique du Fonds privé de Société zoologique de Québec (BAnQ P625), le Comité du Jardin est à l’origine de prises de décisions menant à la création d’une ferme expérimentale, puis du Jardin zoologique de Québec. Le ministère à qui est attaché L.- A. Richard est à son origine.

[Le] ministère de la Colonisation de la chasse et des pêcheries (qui) forma, en juillet 1931, un Comité afin de « choisir le site le plus avantageux possible pour l’établissement d’une ferme expérimentale pour l’élevage des animaux à fourrure ». […] Leur choix se fixa sur un groupe de propriétés situées à Charlesbourg.

1931-08-03 – Le Jardin prend du terrain

Dans la même notice, on prend connaissance également d’une décision déterminante pour l’avenir du Jardin : « Le comité, après une étude sérieuse de différents terrains qui avaient été examinés soigneusement, dans les alentours de Québec, arrêtait son choix dès le  3 août 1931 sur un groupe de propriétés sur des hauteurs de Charlesbourg ». Cette décision arrêtée, Richard en arrière plan, mit à exécution un idée qu’il avait déjà en tête, probablement suite à sa visite en Colombie-Britannique où il y avait des totems.

1931-11 – C’est le temps de s’écrire

C’est en novembre 1931 que Richard initiera la chaîne de correspondance qui impliquera son réseau d’influenceurs. Et c’est dans le climat de crise des années 1930 qui frappe durement le Canada : aux environs de 1933, 30 % de la population active est au chômage. C’est dans ce contexte que la Société zoologique demandera une subvention pour sa création alors que les besoins en assistance publique sont criants. Mais il y a aussi la crise touchant l’industrie de l’élevage des fourrures. Ayant connu un essor considérable dans les années précédentes, on la compare à « la fameuse mais triste course à l’or du siècle précédent, pour laquelle des gens étaient sortis de cette aventure ruinés ». C’est ce qui conduit à la création d’une Ferme expérimentale à Charlesbourg, pour tenter de palier à cet état de crise en mobilisant beaucoup de chômeurs de la région de Québec. Le début de cette histoire du totem Le Nid de l’Aigle se retrouva « entouré d’un certain secret (Barbeau 1940) », comme celui entourant la construction des mâts totémiques avant d’être élevés sur la place publique. On parlait surtout de créer une ferme expérimentale pour l’élevage des animaux, et par la même occasion de créer aussi un Jardin zoologique à Québec. « Il tardait au gouvernement Taschereau de créer, au plus tôt, des emplois en ce temps difficile de crise économique et d’effondrement du marché des fourrures ».

1931-11-05 – Lettre de Richard à Scott

Fac-Similé de la lettre de Lettre de Louis-Arthur Richard à Duncan Campbell Scott
BAC – Fonds 206458

Même à Québec, où dans les premiers jours de la Colonie, nos Indiens se mêlaient à un tel degré avec l’homme blanc, avons-nous un souvenir tel qu’un totem rappelant la civilisation plus avancée des Indiens de l’Ouest, je considère que c’est une grande lacune.

Hangar Coté Nord Vue Avant
Patrimoine culturel du Québec

C’est en évoquant ainsi sa vision de la culture autochtone de la côte Nord-Ouest, marqué par ses voyages avec Lomer Gouin dans cette région, que Richard motive son désir d’avoir un mât totémique. Même s’il n’oublie pas de saluer Mme Scott, qu’il a rencontrée à la résidence du peintre Horatio Walker à l’île d’Orléans, c’est une demande formelle du ministère alors nommé Département de la colonisation de la faune et des pêcheries.

Horatio Walker peint dans son jardin 1933
Wiki Commons

C’est à titre de sous-ministre qu’il sollicite Duncan Campbell Scott, le surintendant général adjoint des Affaires Indiennes, même s’il a eu une conversation à la résidence de Walker. Il souhaite se procurer un mât totémique provenant de la Colombie-Britannique. Son intention est de créer un parc public comportant un jardin zoologique, qu’il voudrait « ornementer » avec un objet d’un intérêt particulier pour l’éducation du public. Et il souligne qu’aucun parc de la province ne possède une chose telle qu’un mât totémique. Il est tout à fait conscient que les mâts totémiques se font rares et que le gouvernement de la Colombie-Britannique a légiféré en ce sens pour les protéger, et qu’il faudra manoeuvrer diplomatiquement, cela va de soi.

Annonce publique

BAnQ – Québec, L’Action Catholique, 16 novembre 1931, page 8
BAnQ – Québec, Le Soleil, 16 novembre 1931, page 3

L’annonce du projet du jardin zoologique dans Le Soleil est brève; la couverture est plus complète dans l’Action Catholique du même jour. On y fait état des travaux sur un site auparavant connu comme étant La montée des Moulins; il y avait trois moulins appartenant à MM. Lockwell et Plamondon. Ce site, désormais considéré comme un vestige archéologique de la région, est décrit dans la fiche Parc des Moulins de la Ville de Québec.

1931-11-17 – Lettre de Scott à Richard

Fac-Similé de la lettre de Douglas Campbell Scott à Louis-Arthur Richard
BAC – Fonds 206458

Scott Informe Richard qu’il devrait s’attendre à débourser dans les environs de 1 500 $ pour un bon spécimen « couché » à Prince-Rupert et payer aussi le coût de transport vers Québec. Puisqu’il est un haut fonctionnaire dans un ministère fédéral, il lui rappelle qu’il doit aviser les autorités gouvernementales de la province (la Colombie-Britannique) relativement à cette exportation hors de ce territoire. Rappelons que Scott est au second rang des Affaires Indiennes – son supérieur est le surintendant général, l’honorable. T. G. Murphy; et son secrétaire est A. S. Williams. Ces noms appraîtront dans les futures correspondances, pour plusieurs parties de balle. Afin de nous assurer de bien comprendre cette hiérarchie dans la prise de décision, nous nous sommes référé au Annual Report of the Department of Indians Affairs (1932-03-31 : 67).

Des lettres, des lettres, et encore des lettres

Cette note n’ouvre la porte que sur une longue série de lettres que s’échangeront les influenceurs, en plus d’une série de réunions du Comité du jardin. Peu de gens auront eu l’opportunité de prendre connaissance de toutes ces ramifications et des quelques péripéties qui ont été nécessaires pour emmener le Nid de l’Aigle à Québec. Mais vous en ferez désormais partie, encore plus lors de la publication de la prochaine note.


INFORMATION COMPLÉMENTAIRE …

Revue des sources documentaires en ligne au moment de la publication, photoreportages ou études de cas en relation avec le thème abordé dans cette note.

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